Ce mercredi matin, les policiers alertent pour demander aux mineurs de quitter la salle ainsi que tous ceux qui pourraient être choqués. Dès 9 heures du matin, au procès en appel des viols de Mazan au tribunal de Nîmes, c’est donc visionnage de vidéo de viols au programme. Même si l’on en a déjà vu l’an passé, elles restent révoltantes. Et comme il y a davantage de temps, puisque l’on se consacre à un seul accusé, le président a choisi de visionner quelque douze fichiers existants, correspondant à différents moments de la soirée du 28 juin 2019 date à laquelle Husamettin D. s’est rendu chez les Pelicot.
Les fichiers sont présentés dans le désordre, sans que l’on puisse savoir ce qui s’est passé en premier, mais ils sont accablants. On y voit Gisèle Pelicot inerte, la bouche grande ouverte, les joues qui pendent, et sur certains fichiers, elle ronfle. Elle est habillée en porte-jarretelles, par son mari qui l’a changée hors caméra alors qu’elle était sédatée. L’accusé « s’affaire » sur elle, la pénétrant à plusieurs reprises, dans différentes positions, y compris, plusieurs pénétrations buccales. Avec cet acte, lorsque l’on voit son visage de près, c’est encore plus flagrant qu’elle ne fait pas semblant de dormir, surtout lorsque Dominique Pelicot et Hussametin D. s’y mettent à deux pour lui ouvrir la bouche afin qu’il puisse entrer son sexe et qu’elle manque de s’étouffer dans son sommeil. Et puis, il y a cette scène où soudain, l’accusé se retire dès qu’il voit Gisèle Pelicot bouger.
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Après le visionnage, une première question du président de la cour, Christian Pasta pour le moins inattendue : « Sur l’ensemble des vidéos qu’on vient de voir, vous avez vu que différentes positions ont été adoptées. Vous ne pensez pas qu’il en manque une ? Vous connaissez la levrette ? Pourquoi il n’y en a pas ? » Hussamettin est désarçonné. « Parce que madame Pelicot n’est pas capable de se tenir à quatre pattes. » Celle-là, on ne l’avait pas vue venir.
« Je suis venu pour un plan libertin »
Lorsque Hussametin est interrogé, il a toutes les peines du monde à être clair. On se demande même comment ses avocats ont pu le laisser se rendre à ce procès si crucial pour lui, sans davantage se préparer, développer un axe de défense solide. Et surtout, l’inciter à reconnaître les faits pour montrer à la cour qu’il a fait du chemin. « Pour moi je n’ai pas commis de viol » dit-il avec aplomb. Lorsque les avocats des parties civiles l’interrogent, il se dit même « victime de viol » lui aussi, du fait que l’on puisse visionner ces vidéos. « Oui je suis victime, mais cette dame-là est plus victime que moi », concède-t-il. Quand la cour lui demande quelle est sa définition du viol, il répond : « Quelqu’un qu’on a attaché, et qu’on force ».
Tout au long de son interrogatoire, il ne termine pas ses phrases et se contredit, s’embourbe dans ses réponses. Ses difficultés de compréhension de la langue française ne l’aident pas, il bute sur certains mots, n’en comprend pas d’autres, comme « vigueur » ou « gradation », et se montre parfois peu poli envers le président. Il réitère sa version : « Je suis venu pour un plan libertin, on m’a vendu un scénario, quand je suis arrivée, ça correspondait. » Pelicot lui avait envoyé des photos de sa femme quelques jours avant en petite tenue, et lui aurait dit qu’elle faisait semblant de dormir. Qu’il l’ait cru, de bonne foi, en s’y rendant, puis en arrivant sur place, pourquoi pas. Mais pourquoi rester, alors que lui-même reconnaît que quelque chose était « bizarre » ? Il a même lancé à Pelicot en arrivant : « Mais elle a l’air morte ta femme ! ». Il répond que Dominique Pelicot le rassurait, l’incitait à continuer, « prenait sa place » même. Mais parfois, il se montrait aussi menaçant, au point qu’il « avait peur de lui ». « Ça m’a rappelé mon père », dit-il.
Le président s’appuie sur le fait que l’accusé a déjà pratiqué des plans à trois. « Est-ce que cela se passe comme ça d’habitude ? » L’accusé est bien obligé de répondre que non : chacun des protagonistes échangeait au préalable, et la femme n’était pas endormie. Hussametin ne conteste pas que Gisèle Pelicot était sédatée mais il assure ne s’en être pas rendu compte. « Je ne connaissais pas la soumission chimique. Quand j’ai appris que ça faisait dix ans qu’elle était violée, vous imaginez dans quel état j’étais. Ça me tombe comme ça sur la gueule ! », dit-il encore. Pendant toute la séquence, il assure s’attendre à ce qu’elle se réveille, conformément au scénario de la Belle au bois dormant qu’on lui avait vendu. Pourquoi alors s’être retiré d’un coup, lorsqu’elle semble bouger, si ce n’est pour la réveiller ? « Je pensais lui avoir fait mal, c’est Dominique Pelicot qui m’a dit « arrête ». C’est lui qui me dirigeait. « C’est un psychopathe, je suis tombé dans son piège ». Il assure avoir pris conscience de l’état de Gisèle Pelicot au bout de 30 minutes. Pourtant, il restera au total deux heures.
Puis, c’est au tour de Gisèle Pelicot de s’exprimer devant la cour. Gilet cintré sur chemisier blanc, pantalon noir, son éternel carré roux et son élégance. Plus que jamais, à côté de l’accusé, son discours paraît fluide et clair. On imagine aussi le calvaire que représente le fait de devoir refaire face à nouveau aux viols qu’elle a subis. Elle exprime une colère à l’encontre de l’accusé. « Ce que je n’arrive pas à comprendre, c’est que cet individu n’a jamais accepté de dire qu’il a violé. Après un an, il n’a pas évolué. Vous prétendez que vous avez vu une morte. Moi, si je vois une morte j’appelle les pompiers. Assumez votre acte ! J’ai honte pour vous ! Vous vous dites victime ? Victime de quoi ? La seule victime c’est moi. »
« L’humiliation était totale »
Elle rappelle qu’elle a contracté 4 MST, au travers des 200 viols qu’elle a subis. On apprend aussi qu’elle attend des résultats d’une biopsie du col de l’utérus, pour vérifier s’il n’y a pas de cellule précancéreuse. Interrogée sur sa famille, elle a quelques mots pour sa fille, qui a annoncé qu’elles ne se parlaient plus. Celle-ci a porté plainte contre son père qu’elle accuse de l’avoir violée aussi et a publiquement reproché à sa mère de ne pas la soutenir. « Chacun essaye de se reconstruire comme il peut, il est vrai que c’est beaucoup plus difficile pour ma fille. Je comprends sa souffrance. L’année dernière, Il est vrai que j’étais sur mon procès. J’espère qu’elle aura des réponses que je n’ai pas pu lui donner. J’espère que le temps évoluera et que l’on pourra tous se retrouver comme avant », souligne Gisèle Pelicot.
Coté défense, c’est un mauvais remake de l’année précédente, avec la même stratégie : sous-entendre que Gisèle Pelicot aurait pu accepter d’être sédatée elle-même. « Vous avez l’air de dire que Dominique Pelicot m’aurait donné du GHB et j’aurais accepté sans aller porter plainte ? Mais on est dans l’absurde ! », s’emporte-t-elle. Les avocats de la défense demandent, comme en première instance, à diffuser des photos et vidéos que Dominique Pelicot aurait pu envoyer à l’accusé pour le nourrir dans sa croyance en un scénario libertin. L’an passé, ce moment était particulièrement violent, au tout début des audiences, Gisèle Pelicot avait dû faire face à la diffusion de vidéos d’elle en lingerie, qui avaient été prises par son mari dans un cadre privé, parfois à son insu. « L’humiliation était totale », affirme Gisèle dans sa déposition. D’autant que des avocats l’avaient alors traitée « d’exhibitionniste », que pendant tout un moment elle était sommée de s’expliquer sur sa propre sexualité.
Cette fois-ci, ses avocats ont déposé un incident de séance, et ont demandé que les photos demandées ne soient pas diffusées, arguant le risque d’un préjudice de « victimisation secondaire ». La Convention d’Istanbul, ratifiée par la France, et notamment son article 54 stipule que « les preuves relatives aux antécédents sexuels et à la conduite de la victime ne sont recevables que lorsque cela est pertinent et nécessaire » Or, ici, certaines des images proposées dataient de… 2013, soit bien avant la soirée concernant l’accusé. De son côté, l’avocat de la défense, Me Jean-Marc Darrigade a menacé : les scellés sont censés être à la disposition de toutes les parties, et si ce n’était pas le cas, cela pourrait être un motif de cassation. Finalement, la cour a pris la décision de ne pas passer toutes les photos demandées, car elles portent une « atteinte injustifiée » à l’intimité de la partie civile. L’appel de Mazan aura permis cela : on évolue quant aux fameux droits absolus et illimités de la défense.
Lors de sa plaidoirie, Me Camus a balayé l’argument de « l’intention de violer » qui ne serait pas là. « L’intention, ce n’est pas ce que l’on veut, on ne peut pas savoir ce qu’il se passe dans la tête d’un accusé. L’intention, on la déduit de son comportement.» Or, depuis l’arrêt Dubas de 1857, une pénétration sur une personne qui dort est considérée comme un viol par surprise, rappelle-t-il. Il souligne aussi le caractère historique de la décision de ce procès, plus encore peut-être qu’à Avignon, car ici, c’est un juré populaire qui donnera sa décision, soit « l‘expression du peuple Français ».

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