C’était vraiment pas mieux avant

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En 1979 sortait Coup de tête, de Jean-Jacques Annaud, avec Patrick Dewaere, actuellement visible sur le site d’Arte. Ressorti en 2016, le film fut à cette occasion qualifié par Le Monde de « satire, tour à tour lourdingue et acérée d’une France provinciale aujourd’hui disparue ». Un jugement à rebours du « c’était mieux avant » qu’on nous sert à toutes les sauces. Alors que Franz-Olivier Giesbert était invité sur LCI pour parler de son dernier livre, Voyage dans la France d’avant, défilaient en guise d’illustration des images en noir et blanc de Français dansant et de gamins chevauchant leurs bicyclettes des années 1970. C’est ainsi que la France d’aujourd’hui se représente la France d’hier.

Elle inspire à quelques-uns la nostalgie d’une époque supposée bénie. Mais à d’autres aucun regret, bien au contraire, ils sont satisfaits de l’avoir vue devenir un pays multiculturel, loin des bals du samedi soir et des supporters de foot fumant leurs gitanes maïs sans filtre, accoudés au comptoir de bistrots comme celui de Coup de tête. Deux France irréconciliables s’opposent, celle des campagnes et de leurs traditions provinciales et celle des cités et de leurs populations immigrées aux cultures issues des quatre coins du monde. D’un côté, la France qui se lève tôt pour aller bosser et, de l’autre, celle des exclus et des stigmatisés. La première est défendue par la droite, la seconde par la gauche, comme les deux équipes de foot qui s’affrontent dans Coup de tête. Laquelle supporterez-vous dans les tribunes ? Celle des franchouillards des années 1970 ou celle des jeunes de cités d’aujourd’hui ?

Une ruralité caricaturée

C’est ce schéma binaire qu’on veut absolument nous mettre dans la tête : en banlieue, les déshérités victimes du racisme, et en province, les Gaulois de souche arc-boutés sur leurs traditions poussiéreuses dans leurs patelins ennuyeux. Dans le livre La Vie de cassos, le sociologue Clément Reversé s’est intéressé aux jeunes des zones rurales, qui se sentent totalement exclus par la société. Vingt pour cent d’entre eux en âge de travailler ne possèdent aucun diplôme, révèle l’Insee. « Ruralité : la France, ce pays aux 22 millions d’inconnus », titre Le Point. Voilà un tiers de la population du pays dont on découvre l’existence seulement maintenant. Et qui vit dans cette « France provinciale », un peu vite considérée comme « aujourd’hui disparue ». Eh bien non, elle n’avait pas disparu, mais avait été mise sous le tapis.

La gauche a au mieux ignoré la ruralité, au pire l’a caricaturée. On se souvient du rapport de la Fondation Terra Nova de 2011 qui conseillait à la gauche de ne plus chercher à s’adresser aux classes populaires. Les ruraux ne semblaient pas l’intéresser davantage. Pour elle, les cités étaient devenues le totem de toutes les injustices, surtout celles subies par les immigrés, et les combattre lui donnait la sensation de prolonger les heures glorieuses de son passé anticolonialiste. La France rurale n’offrait pas de telles opportunités idéologiques. Au contraire, elle symbolisait une France figée, réactionnaire, autrefois portée aux nues par l’idéologie de la révolution nationale du maréchal Pétain. Chier sur les ruraux, les mépriser, devenait un acte antifasciste. La nature ayant horreur du vide, l’extrême droite s’est emparée de cette population négligée, à l’image de la bollosphère et de ses médias affidés qui présentent cette France des années 1960 et 1970 comme un paradis perdu. Une reconstruction idéologique qui remplit le vide laissé par une gauche surplombante.

Il est injuste de faire porter la responsabilité de la ringardise de la France de Pompidou et de Giscard à une classe sociale plus qu’à une autre. Tout était moche dans les années 1970, et tout le monde, des plus riches aux plus pauvres, en a profité sans états d’âme. Il n’y a rien à regretter de cette époque-là.

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