Comète 3i/Atlas. L’Amérique, porte-étendard du complotisme scientifique

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À première vue, 3I/Atlas a tout d’une banale comète. C’est d’ailleurs ainsi que l’ont qualifiée les scientifiques lorsque, le 1er juillet dernier, l’observatoire astronomique Río Hurtado, au Chili, décelait sa présence. Propulsé à 61 km/s, soit 220 000 km/h, le bolide entrait tout juste dans le Système solaire interne, à 524 millions de kilomètres de nos tristes débats parlementaires. Constitué d’un noyau solide et glacé, l’objet cosmique s’est depuis rapproché de notre Soleil, jusqu’à atteindre sa plus proche distance, le 29 octobre. La chaleur dégagée par notre étoile est d’ailleurs responsable de sa chevelure, résultat de la sublimation de la glace en gaz, qui, s’échappant, entraîne avec lui la poussière de la surface, formant une sorte de nuage autour du noyau.

La troisième comète interstellaire

À y regarder de plus près, certains détails laissent cependant la communauté scientifique perplexe. Sa trajectoire, très « allongée », montre que la comète ne tourne pas autour du Soleil, comme le font les objets cosmiques pris dans ses filets gravitationnels, mais ne fait que traverser notre Système solaire. La taille de son noyau, évaluée entre 0,32 et 5,6 km, dépasse de loin la dimension des deux autres voyageuses interstellaires captées à ce jour : Oumuamua, cette comète longue et fine en forme de cigare, repérée en 2017, et 2I/Borisov, observée en 2019, ne dépassaient pas les quelques centaines de mètres de longueur. L’évaluation exacte de la taille de la comète 3I/Atlas reste complexe : la lumière reflétée par son noyau est difficilement dissociable de celle réfléchie par sa chevelure. Le petit télescope spatial infrarouge Spherex a ainsi détecté un nuage de dioxyde de carbone s’étendant sur plusieurs centaines de milliers de kilomètres autour du noyau.

Il n’en fallait pas plus pour déclencher les théories les plus farfelues sur les origines de la comète. Avi Loeb, directeur du département d’astronomie de la célèbre université américaine Harvard, n’a pas attendu très longtemps pour semer le doute dans un long papier intitulé « L’objet interstellaire 3I/Atlas est-il une technologie extraterrestre ? ». Au-delà des paramètres orbitaux, des observations menées sur 3I/Atlas par un observatoire d’Hawaï indiquent la présence dans sa chevelure d’une grande concentration de nickel…, mais pas de fer, comme c’est généralement le cas pour les astéroïdes. Cette anomalie n’est connue que dans les alliages de nickel produits industriellement, via la formation et la décomposition du tétracarbonyle de nickel, une molécule ultratoxique mélangeant atomes de nickel, d’oxygène et de carbone. Bref, un processus d’affinage du nickel jamais observé dans la nature. Coïncidence ? Par ailleurs, plusieurs télescopes ont noté un changement de direction de la chevelure de la comète. Une aubaine pour Avi Loeb, qui y voit un « vaisseau spatial extraterrestre en train de ralentir près du Soleil », « possiblement hostile », et demande à ses followers de « prendre leurs vacances avant le 29 octobre », date à laquelle, donc, 3I/Atlas passait au plus près du Soleil. La sphère complotiste en ligne s’en est évidemment donné à coeur joie. Si vous lisez ces lignes, il faudra attendre encore un peu avant de mourir au champ d’honneur face à une flottille extraterrestre.

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Précisons qu’Avi Loeb voit des petits hommes verts partout. En 2021, il avait consacré un livre entier à l’origine prétendument extraterrestre d’Oumuamua, seule façon selon lui d’expliquer le comportement étrange de l’objet interstellaire : son accélération, le fait qu’il n’ait dégagé aucune traînée – de gaz ou de poussières – en passant à proximité du Soleil, et sa forme singulière. Pour le reste de la communauté scientifique, en particulier des spécialistes des astéroïdes et des comètes – ce qu’Avi Loeb n’est pas –, toutes ces « anomalies » peuvent s’expliquer par des phénomènes naturels. À l’inverse, l’hypothèse des extraterrestres ne peut être ni prouvée ni infirmée. Pratique.

Avi Loeb et les chasseurs d’aliens

Pour Oumuamua comme pour 3I/Atlas ou tout autre objet cosmique au comportement surprenant, tous les ingrédients sont réunis pour raviver les débats typiques opposant la science à la religion. Là où la science peine à trouver des explications toutes prêtes, les croyances prospèrent. Pour couper l’herbe sous le pied des charlatans de la science, qui ont sans doute bien compris comment vendre des livres et constituer des groupes de fanatiques, la communauté scientifique est engagée dans une course contre la montre. Télescopes terrestres et spatiaux, sondes d’exploration, professionnels et amateurs : toutes les ressources sont mises à disposition pour étudier l’objet avant qu’il ne s’échappe du Système solaire. Ainsi, deux sondes européennes actuellement en orbite autour de Mars, ExoMars et Mars Express, ont capturé des images époustouflantes de la comète lors de son passage, entre le 1er et le 7 octobre, à « seulement » 30 millions de kilomètres de la planète rouge. Les téle­scopes spatiaux Hubble et James-Webb ont d’ores et déjà apporté des informations précieuses sur sa taille et sa composition.

L’ennui, c’est que dans cette bataille de la science contre l’obscurantisme, l’administration Trump a clairement choisi son camp. Confronté à des coupes budgétaires sans précédent, tout l’appareil de la Nasa est aujourd’hui plongé dans une quasi-paralysie. Sa communication a minima pendant les toutes premières phases d’observation de 3I/Atlas, cessant parfois de partager en temps réel les paramètres orbitaux de l’objet cosmique pendant les périodes de shutdown gouvernemental, a laissé un boulevard aux spéculations loufoques prospérer en ligne. Avi Loeb lui-même s’est engouffré dans la brèche, accusant la Nasa de dissimuler des informations cruciales. L’astronome fait remarquer que la sonde américaine Mars Reconnaissance Orbiter a pris des images de la comète au début du mois d’octobre, mais qu’aucun cliché n’a été rendu public. Après avoir sollicité le responsable du programme pour obtenir ces données, Avi Loeb est resté sans réponse. Difficile de répondre aux mails quand la moitié de son équipe a probablement été remerciée…

La situation n’est pas près de s’améliorer. Une sonde américaine, Europa Clipper, actuellement en direction d’une lune de la planète géante Jupiter, présente une occasion unique de traverser la chevelure de 3I/Atlas, entre le 30 octobre et le 6 novembre. Mais le Jet Propulsion Laboratory, une branche de la Nasa en charge de la mission, subit de plein fouet la guerre antiscience de Trump. Le laboratoire est passé de 6 500 employés début 2024 à 5 000 en juillet 2025 et vient de se séparer de 550 têtes pensantes supplémentaires en octobre. On peut ainsi douter de sa capacité à mobiliser les ressources nécessaires pour saisir l’opportunité de prélever pour la toute première fois, grâce à Europa Clipper, des échantillons de la chevelure d’un objet interstellaire. Il faudra alors compter sur une autre mission européenne, Juice, lancée vers Jupiter en 2023, pour observer la comète à deux reprises, début et fin novembre. Sous réserve que la France vote un budget.

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