Pour susciter l’action face au changement climatique, quelle communication adopter ? La peur est-elle un levier efficace ? Ou au contraire constitue-t-elle un frein à l’action ? Ces questions sont importantes, alors que nous oscillons entre écoanxiété et dissonance cognitive face à l’urgence climatique.
Sur ce sujet, la discipline du marketing social fournit des pistes de réflexion intéressantes. Elle étudie en effet « l’adaptation des techniques du marketing commercial à des programmes conçus pour influencer le comportement volontaire d’audiences cibles de façon à améliorer leur bien-être personnel et celui de la société dont ils font partie ».
L’application du marketing au changement social, qui repose aujourd’hui sur des travaux de recherche solides, reste pourtant méconnue du grand public. L’objectif n’est pas de redorer l’image de la discipline mais de la mettre au service de causes sociales et sociétales – en l’occurrence les conséquences du changement climatique pour l’individu et la planète.
Dans cette perspective, le marketing social encourage l’idée qu’avoir recours au levier d’une peur modérée peut s’avérer pertinent, autrement dit une peur suffisante pour susciter l’action mais pas trop forte car elle deviendrait alors un frein. D’autres conditions doivent toutefois être réunies pour que ce recours soit efficace.
Les trois conditions d’un appel à la peur « efficace »
Des modèles explicatifs du pouvoir persuasif de l’appel à la peur en communication persuasive fournissent des clés de compréhension des mécanismes fondés sur le recours à l’émotion de peur et aident à anticiper certaines réactions face aux communications faisant appel à la peur.
Les trois modèles – ou théories – les plus utiles dans cette perspective sont : le modèle des croyances envers la santé, le modèle issu de la théorie de la motivation à la protection et le modèle étendu des processus parallèles.
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Or ces trois cadres théoriques mettent en avant de manière consensuelle certaines conditions à réunir pour qu’une menace, donc un appel à la peur, soit efficace. De même, d’autres cadres théoriques comme celui de la théorie des niveaux de représentation de la distance psychologique viennent utilement compléter ces conditions premières.
Vulnérabilité et perception de la gravité
Retenons en particulier que si la menace n’est pas perçue comme assez grave par la cible visée ou si celle-ci ne se sent pas assez vulnérable face à elle, l’individu ne développera pas la motivation nécessaire pour se protéger du danger. La probabilité est alors élevée qu’il n’accepte pas le message et, de ce fait, ne développe pas les conduites adaptatives requises.
Afin qu’une communication incitant à changer ses comportements pour affronter les risques soit vraiment persuasive et efficace, il faut faire en sorte que le changement climatique soit perçu comme un danger vis-à-vis duquel chacun·e se sent concerné·e.
Besoin de solutions convaincantes
Si la menace est perçue comme assez grave et assez menaçante, elle engendrera de la peur. Mais ce n’est pas suffisant : il faut aussi que l’individu ciblé perçoive l’efficacité des recommandations de même que sa propre efficacité personnelle à mettre en œuvre le comportement en question.
Il développera sinon des efforts destinés à contrôler sa peur uniquement, et non le danger. Cette protection contre la peur passera alors par des motivations avant tout défensives et en particulier par le rejet du message menaçant.
En ce sens, l’idée de susciter une peur modérée s’avère plus judicieuse qu’une peur forte. Mais même dans ce cas, les solutions proposées doivent paraître efficaces et applicables par les individus.
Effet « boomerang », le contrôle de la peur
Une communication sur le dérèglement climatique qui parvient à susciter une peur importante sans convaincre de l’efficacité des recommandations proposées pour résoudre la menace, va provoquer un effet délétère : pour faire redescendre le niveau de cette émotion négative, les individus vont avoir tendance à contrôler leur peur.
Ils risquent ainsi de mettre en place des stratégies d’ajustement menant à un échec de la communication, avec le risque que la communication anxiogène « entraîne du déni et du désintérêt ». S’ils sont dans le déni, qui correspond à exclure certaines informations, ils peuvent, par exemple, choisir les informations via des médias ou des partis politiques qui nient le dérèglement climatique. Ils risquent aussi de se désintéresser ou de minimiser les informations en se concentrant sur des tâches autres.
Une autre stratégie consiste à éviter les informations et accuser un groupe cible comme les politiques ou les industriels. Enfin, les personnes peuvent aussi résister en adoptant un comportement inverse à celui demandé.
Dans le cas des communications sur le dérèglement climatique surgissent d’autres difficultés particulières.
Distanciation psychologique temporelle et sociale
Dans le contexte de la communication autour du dérèglement climatique, la perception de gravité est ainsi rendue plus difficile par certaines spécificités de la menace, du fait tout d’abord d’un effet de distanciation temporelle à l’égard de ces changements climatiques. Ces derniers sont en effet perçus comme encore lointains.
De même, les populations affectées par le dérèglement climatique peuvent être perçues comme éloignées des cibles de la communication en raison d’une distanciation sociale. Ainsi, un Français sur deux ne se sent pas encore directement concerné par les effets du changement climatique.
Notons d’ailleurs que le dernier rapport du GIEC insiste plus sur l’impact du dérèglement sur les êtres humains (et pas seulement les espèces en voie de disparition) et en particulier ceux des pays occidentaux (et pas seulement les pays en développement).
Un enjeu perçu comme collectif
Il peut aussi s’avérer complexe de rendre la recommandation pertinente (efficacité des mesures demandées) car non seulement l’auto-efficacité perçue est souvent très faible mais la perception d’efficacité collective également.
Il est donc particulièrement ardu de faire comprendre l’intérêt de gestes individuels alors que le problème est vu comme collectif : « Les Français souhaitent que les pouvoirs publics agissent davantage pour lutter contre le changement climatique. Pour autant, les Français considèrent que les États et les instances internationales sont les acteurs qui agissent le moins aujourd’hui (respectivement 26 % et 14 %), avec les entreprises (14 %). ».
Une difficulté qui se trouve à nouveau expliquée par la question de la temporalité et de la distance temporelle perçue. 72 % des Français estiment ainsi que « les conditions de vie deviendront extrêmement pénibles dans une cinquantaine d’années ».
Enfin, ces mesures sont de nature à induire une idée d’inéquité et d’injustice, avec le risque par exemple de pénaliser plus fortement les bas revenus.
Pour conclure, l’appel à la peur peut être efficace s’il est bien conçu par rapport aux théories mobilisées en marketing social et si le message a été pré-testé.
Le sujet de cet article a été abordé lors du séminaire Esprit Futur à l’Université Aix-Marseille, organisée par la Fédération CRISIS, jeudi 6 avril dernier et les auteures tiennent à remercier Thomas Berrhoun pour son invitation à y participer.
Marie-Laure Gavard-Perret ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.