Composter les morts : une révolution verte pour les rites funéraires ?

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À l’heure où de plus en plus de personnes alignent leurs choix de vie sur des valeurs écologiques, pourquoi la mort y échapperait-elle ? Aux États-Unis, le compostage funéraire – ou « terramation » – séduit un nombre croissant de personnes en quête de pratiques plus durables, et l’idée commence à faire son chemin en Europe. En France comme en Belgique, le cadre juridique se cantonne encore à deux options : l’inhumation ou la crémation. En parallèle, chercheurs, associations et responsables politiques appellent à se pencher sur cette nouvelle voie funéraire.

Aujourd’hui, seuls deux modes de funérailles sont autorisés en France et en Belgique : l’inhumation et la crémation. Dans les deux cas, le corps doit impérativement reposer dans un cercueil et aucune alternative n’est permise sur le territoire. Pourtant, dans un contexte de transition écologique, de plus en plus de personnes s’interrogent : comment repenser le rituel funéraire pour qu’il soit en accord avec des valeurs de durabilité et de respect de l’environnement ?

Pour répondre à cette aspiration, des formes de sépulture alternatives émergent à travers le monde. Aux États-Unis, certains États ont déjà légalisé de nouveaux rites. C’est notamment le cas de la terramation.

Un rite inspiré du cycle de la nature

La terramation, « fusion de terra et transformation qui renvoient respectivement aux idées de « surface au sol » et de « métamorphose », est un mode de sépulture inspiré du cycle de la nature », explique Jordy Bony, docteur et instructeur en droit à l’EM Lyon, auteur d’un article à ce sujet publié dans The Conversation.

Cette pratique funéraire vise à transformer le corps en humus fertile, capable de nourrir la terre et de faire croître les plantes. À terme, elle ouvre la voie à une reconfiguration profonde de nos paysages mémoriels : les cimetières pourraient devenir des espaces végétalisés, riches en biodiversité et porteurs de vie. 

En France, le nombre d’inhumations et de crémations varie, mais en général, il y a environ 570 000 cérémonies funéraires chaque année, ce qui représente environ 1560 cérémonies par jour selon la Fondation nationale du Funéraire. – Image : Pixabay

Toutefois, « comme pour l’enterrement qui regroupe un ensemble de pratiques, le terme terramation recouvre en réalité différents procédés de compostage employés pour la réduction des corps », détaille le chercheur. Ainsi, « la terramation peut prendre place en surface, en sous-sol ou même dans des caissons hors-sol »

Outre-atlantique, la terramation prend racine

Aux États-Unis, la terramation est déjà autorisée dans une douzaine d’États, sous la forme d’un protocole hors-sol baptisé Natural Organic Reduction (Réduction Organique Naturelle, ndlr). Placé dans un cylindre en acier ventilé par de l’oxygène dont la température est surveillée par des capteurs, le corps est immergé dans un mélange de copeaux de bois, de luzerne et de paille, où il se décompose en terreau fertile en seulement quelques semaines. Les proches du défunt sont ensuite invités à récupérer le compost afin de l’utiliser pour fertiliser leur propre jardin ou en faire don à des associations de conservation des sols. 

Fiable, maîtrisé et hygiénique, ce procédé a été développé par la société Recompose, pionnière en la matière. En 2019, l’entreprise a obtenu la légalisation de cette pratique dans l’État de Washington, une première sur le sol américain. Depuis, une dizaine d’opérateurs se sont engagés dans ce que certains appellent désormais le « marché de la mort écologique », accompagnant chaque année plusieurs centaines de familles dans cette démarche alternative.

Une législation encore rigide en Europe

En Europe, l’approche hors-sol et commerciale ne convainc pas totalement. C’est la Fondation belge Métamorphose qui propose rapidement une autre approche de terramation : l’humusation. Ici, la décomposition du corps est réalisée en extérieur, sous une butte de broyat végétal. Jugée « plus naturelle » par ses défenseurs, cette méthode soulève toutefois des réserves chez les autorités, réticentes à l’intégrer dans le cadre légal. En cause : la lenteur du processus — environ un an pour une dégradation complète — ainsi que les risques potentiels de pollution des sols par les nitrates et l’ammoniac.

Photo de DEAD GOOD LEGACIES sur Unsplash

Le sujet gagne pourtant en visibilité dans l’espace francophone. En 2021, l’association française Humusation voit le jour pour faire connaître ce concept « encore trop peu connu » du grand public. Dans la foulée, une pétition appelant à la légalisation du procédé est lancée et récolte plus de 25 000 signatures.

L’opinion publique semble ainsi se montrer plutôt favorable à ces solutions funéraires plus durables.  Selon un dernier sondage réalisé par Humo Sapiens, 46 % des interrogés se disent « prêts à recourir à l’humification » et 73 % affirment vouloir une « mort écologique ».

Les funérailles à l’épreuve du climat

Et pour cause : selon la proposition de loi déposée début 2023 par la députée de l’Isère (MoDem) Élodie Jacquier-Laforge, l’incinération « dégage près de 3 % des émissions annuelles de CO2 d’un citoyen » en moyenne et l’inhumation près de « quatre fois plus » encore. Cette empreinte carbone élevée s’explique notamment par la fabrication, le transport et l’entretien des cercueils, mais aussi par « la préservation du corps avec des produits polluants, comme le formol », précise l’élue.

Au-delà des considérations environnementales, les défenseurs de la terramation mettent aussi en avant sa dimension symbolique et porteuse de sens. Un souci décrypté par Tanguy Chatel, sociologue spécialiste de la fin de vie, de l’accompagnement et du funéraire, dans les colonnes du Monde :

« L’humusation est une démarche finalement assez romantique : on cherche à donner du sens à sa mort, en se rendant utile à la nature. La pensée de se dire qu’on va, en quelque sorte, revivre à travers le végétal est une manière d’en atténuer la violence. Face à la rapidité de la crémation, l’humusation offre une alternative, plus lente, qui respecte un cycle de décomposition naturel. »

Entre mémoire, nature et droit : un équilibre à inventer

Malgré la mobilisation croissante d’associations et les expérimentations en cours, notamment en Allemagne, de nombreux freins subsistent avant que cette nouvelle voie funéraire ne soit pleinement reconnue. Car au-delà du choix du mode d’inhumation, la gestion des restes humains – qu’il s’agisse de cendres ou de compost – reste encadrée par une législation stricte. La commercialisation en est formellement interdite, et la conservation des restes sur une propriété privée demeure illégale. 

Photo de DEAD GOOD LEGACIES sur Unsplash

Entre innovations écologiques, représentations culturelles de la mort et impératifs juridiques, la reconnaissance de la terramation suppose encore un profond travail de réflexion collective. Reste à savoir si les institutions, les pratiques sociales et les imaginaires collectifs sont prêts à accueillir une autre manière de penser la mort.

L. Aendekerk


Photo de couverture de DEAD GOOD LEGACIES sur Unsplash

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