Dans le Pacifique, l’agonie de l’île de Nauru

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Le 27 février dernier, l’Union européenne a voté un texte élargissant la liste des crimes environnementaux et harmonisant les sanctions en la matière dans l’Union européenne. Début février, le procureur de la Cour pénale internationale Karim Khan proposait à son tour de poursuivre les crimes environnementaux sans modifier son statut, estimant que les dégâts environnementaux sont souvent cause ou conséquence de crimes de guerre ou contre l’humanité, sur lesquels elle a déjà la compétence. Dans Le manifeste contre la corruption environnementale qu’elle vient de publier aux éditions Érick Bonnier, ce sont ces thématiques que Shérazade Zaiter, juriste internationale, spécialiste en droit des affaires et droit à l’environnement et enseignante à l’Université de Limoges, explore.

Elle y dénonce des crimes qui viennent accentuer la crise environnementale et met en lumière ceux qui tentent de combattre cette corruption. Nous reproduisons ici l’extrait du livre consacré au destin tragique de Nauru, une petite île du Pacifique qui illustre de manière poignante les conséquences de la corruption environnementale.


La République de l’île de Nauru, minuscule joyau perdu dans l’immensité de l’océan Pacifique, illustre de manière glaçante les conséquences de la corruption environnementale. Qualifié de « pays qui s’est mangé lui-même », situé à près de 4835 kilomètres de l’Australie, il s’étend sur seulement 22 kilomètres carrés.

Son plateau central est entouré d’une bande côtière, où se concentre la majeure partie de sa population. L’origine de son malheur a commencé en 1906, lorsque d’immenses gisements de phosphate ont été découverts sur ce plateau. Sa corne d’abondance a ouvert la boîte de Pandore, et c’est ainsi que débuta la lente agonie de l’île de Nauru.

Le phosphate est un sel précieux, utilisé dans la fabrication d’engrais et d’explosifs. Riche en phosphore, c’est un élément essentiel pour la croissance des plantes, il augmente le rendement des cultures. Ce gisement minéral, dont la qualité est la meilleure au monde, couvre 70 % de l’île.

De la prospérité à l’effondrement

Les colons allemands ont d’abord bénéficié de son exploitation, puis l’Australie a pris le relais en 1914, en prenant le contrôle de l’île jusqu’en 1968. Cette année-là, Nauru est devenue la plus petite république au monde. Son indépendance lui a apporté une prospérité économique sans précédent.

En poursuivant l’exportation de phosphate, Nauru a connu une croissance rapide de sa richesse. En 1974, le pays affichait le deuxième produit intérieur brut par habitant le plus élevé au monde, générant 225 millions de dollars australiens. Nauru a brillamment instauré un modèle d’État-providence exempt d’impôts, où l’éducation, les transports, les services de santé, et même le logement sont entièrement pris en charge par l’État, sans aucun frais pour ses citoyens.

Au début des années 1990, avec le déclin des gisements de phosphate, l’économie de Nauru a sombré dans la crise. Malgré les investissements immobiliers du gouvernement pour contrer cette situation, ceux-ci se sont révélés désastreux. Des scandales de détournement de fonds et de corruption impliquant des politiciens et des personnalités influentes ont éclaté. Contribuant à la détérioration des infrastructures et des services publics.

Des choix politiques ont facilité l’octroi de contrats favorables à des entreprises étrangères en échange de faveurs, entraînant des conséquences désastreuses. Avec une augmentation des saisies, un effondrement de l’industrie et une succession de gouvernements, Nauru a été contrainte d’élaborer diverses stratégies pour restaurer ses finances.

Cela comprenait le blanchiment d’argent étranger, la vente de passeports et même l’accueil rémunéré de réfugiés clandestins, ce qui a attiré l’attention négative d’organisations telles que l’ONU, l’OCDE et Amnesty International.

Des paysages défigurés

La méthode d’exploitation minière, la plus courante, était l’exploitation à ciel ouvert. Elle consiste à retirer les couches de terre, de sable et de roches qui recouvrent les gisements de phosphate. Des machines lourdes, telles que des pelles mécaniques et des bulldozers, étaient utilisées pour extraire les roches phosphatées.

Les paysages ont été profondément modifiés, avec de vastes zones déboisées et des cratères, laissés par l’extraction du phosphate. L’excavation en tranchées était préférée, lorsque les gisements de phosphate étaient proches de la surface. Les tranchées étaient creusées pour atteindre les couches de phosphate, en enlevant les couches de terre et de sable à l’aide d’excavateurs. Elle a entraîné des impacts néfastes sur l’environnement, avec des perturbations majeures du paysage et des sols.

Le dragage marin était employé pour extraire les phosphates des dépôts marins, à proximité de Nauru. Cette technique consiste à utiliser des bateaux équipés de dispositifs de dragage, pour aspirer les sédiments marins contenant du phosphate. Le mélange de sédiments était ensuite traité pour en extraire le phosphate. Les écosystèmes marins ont été gravement perturbés, affectant la faune et la flore marines et modifiant les habitats côtiers.

Pollutions des sols et des eaux

Plus récemment, la récupération par dissolution in situ a été utilisée. Cette technique implique l’injection d’une solution chimique, dans les couches de phosphate, pour le dissoudre. La solution est ensuite pompée et traitée. Si cette méthode a réduit les dommages environnementaux directs, elle a entraîné des problèmes de gestion des déchets chimiques, avec la pollution des sols et des eaux souterraines. Les conséquences environnementales sont inimaginables.

L’histoire de Nauru, le « pays qui s’est mangé lui-même », 26 juillet 2020 (Brut).

80 % des terres sont dévastées, et 40 % des récifs coralliens sont morts. Les écosystèmes, autrefois riches et diversifiés, sont cruellement altérés. Les habitats naturels, dévoués depuis des millénaires à une multitude d’espèces végétales et animales, réduits en miettes. Les résidus toxiques, tels que les métaux lourds et les substances chimiques nocives, infiltrent les terres autrefois florissantes. Les sols stériles et appauvris, désormais sujets à l’érosion, laissent place à une triste désertification. Les rivières autrefois claires et vivantes sont souillées, leur pureté transformée en un miroir trouble de contamination.

La ceinture de corail, autrefois éclatante, n’est plus que l’ombre d’elle-même. Les rejets issus de l’exploitation minière ont dégradé des habitats marins. La biodiversité marine, riche et prospère, réduite au silence. Comme si cela ne suffisait pas, la situation géographique de Nauru rend le pays particulièrement vulnérable à l’augmentation du niveau des mers, conséquence directe du dérèglement climatique. Tôt ou tard, les habitants devront quitter leur île pour leur propre survie. Une autre question se posera alors : quel État va leur ouvrir les bras ?

Désastre sanitaire

Au-delà des dommages visibles, les ravages environnementaux ont également touché les communautés locales. La dépendance économique, apportée par cette ressource précieuse, s’est avérée un fardeau difficile à supporter. La mauvaise gestion crée une dépendance excessive, à l’égard de l’importation de biens, et de produits alimentaires. L’île a connu une transition trop rapide vers un mode de vie sédentaire.

Ajoutée à cela, l’alimentation fortement fondée sur les produits importés, riches en sucres et en matières grasses affecte directement le bien-être et la santé des habitants : cela se traduit par une augmentation alarmante de l’obésité et des maladies associées, telles que le diabète de type 2 et les maladies cardiovasculaires.

Nauru est devenu l’un des pays les plus touchés par l’obésité, affichant l’un des taux les plus élevés au monde. Le tabagisme est également très répandu, avec 47 % de fumeurs réguliers. Les taux de mortalité infantile, juvénile et adulte sont élevés, l’espérance de vie est de 55 ans en moyenne, 49 pour les hommes. L’environnement naturel de l’île, qui a subi une détérioration alarmante, ne permet plus aux 14 000 habitants de s’adonner à des activités physiques, et d’avoir un mode de vie sain.

Accepter la corruption ou périr

L’île de Nauru nous rappelle les conséquences tragiques de l’exploitation irresponsable des ressources naturelles. Cette gestion inconsciente a entraîné une spirale de corruption et de compromis, mettant en péril la stabilité et le développement de l’île. Pour assurer sa survie et préserver son avenir, elle est confrontée à un dilemme difficile, celui d’accepter la corruption ou de périr.

Son état économique précaire, crée une porte ouverte à toutes sortes de compromis et de transactions douteuses. Un exemple frappant est le versement mensuel effectué aux dix-huit parlementaires composant son Assemblée Nationale. Cette somme d’argent provient des coffres de Taïwan. Il s’agit d’un pot-de-vin, destiné à remercier Nauru de l’avoir reconnu en tant que nation souveraine et indépendante.

C’est une pratique courante dans les îles du Pacifique, que les pays asiatiques ont instaurée dans le but de s’attirer les faveurs des 11 micro-États insulaires de la région. Cette stratégie leur permet de bénéficier du soutien de ces nations lors de votes importants à l’Assemblée Générale des Nations unies. D’autres exemples existent, comme la promesse de la Russie de réparer le port en ruines de Nauru. En échange de ces travaux, l’île a accepté de reconnaître l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie, deux provinces autonomes de Géorgie envahies en 2008 par la Russie, en tant que territoires indépendants.

Nauru nous montre que la détérioration de l’environnement affecte le droit à la vie, à la santé, au travail et à l’éducation. En raison de sa petite taille et du manque de données disponibles, elle n’est pas prise en compte dans l’indice de perception de la corruption. Il est difficile d’avoir une image complète et précise de son niveau de corruption.

Sa taille et sa population restreintes peuvent justement offrir des opportunités pour mettre en place des mesures de gouvernance plus transparentes, et des mécanismes de lutte contre la corruption, plus efficaces. Le pays pourrait ainsi renforcer la confiance et la transparence au sein des institutions internationales. Cela permettrait de consolider la confiance des citoyens et d’assurer une gestion responsable des affaires publiques.

The Conversation

Shérazade Zaiter est membre d'Avocats sans Frontières et du Centre International de Droit Comparé de l'Environnement.

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