Gabon : une ONG fait arrêter 500 trafiquants d’espèces

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Au Gabon, l’ONG belge Conservation Justice lutte contre la criminalité environnementale et en faveur de la protection de la faune africaine. Son combat s’axe sur le trafic de la faune sauvage (ivoire, peaux), la déforestation et l’exploitation minière illégales en Afrique centrale. Créée en 2003, elle a contribué à l’arrestation et la condamnation de plus de 500 trafiquants au Gabon. Le réalisateur Maxime Ginolin (à qui l’on doit le film Grosse et le personnage de l’inspecteur MagiCJacK), engagé dans la protection animale, s’est rendu sur place pour filmer leur action.

La lutte sans fin contre le trafic de faune en Afrique

Depuis des décennies, le trafic d’espèces animales gangrène l’Afrique, sa riche biodiversité attirant les convoitises. Le braconnage a été particulièrement répandu dans de nombreux pays au cours des années 70-80. Y étaient principalement recherchés l’ivoire des éléphants et les cornes de rhinocéros, causant des ravages dans leurs populations.

Cependant, grâce à la mise en place de réglementations internationales comme la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction(la CITES, dite aussi Convention de Washington) en 1975, les populations d’éléphants et de rhinocéros ont commencé à se rétablir et le braconnage a diminué dans certains pays.

Saisie de défenses d’éléphants au Gabon. 30 000 éléphants sont tués chaque année en Afrique. Crédit : Conservation Justice

Mais ces dernières années, le trafic d’espèces sauvages est redevenu un problème majeur en Afrique en raison d’une demande croissante d’ivoire, de cornes de rhinocéros, de peaux de léopard, de trophées et d’écailles de pangolins particulièrement prisés en Asie pour des raisons culturelle, médicinale et symbolique.

Aussi l’ivoire est-il souvent utilisé pour fabriquer des sculptures et des éléments décoratifs ; les cornes de rhinocéros et les écailles de pangolin sont réputées pour avoir des propriétés médicinales selon la médecine traditionnelle asiatique ; les peaux de léopard servent à confectionner des vêtements de luxe. Les primates et les crocodiles sont également chassés : les premiers pour leur viande et capturés bébés pour être vendus comme animal de compagnie, les seconds pour leur peau prisée dans l’industrie du luxe, et certaines médecines traditionnelles qui recherchent des parties spécifiques de leur corps.

Des trophées de têtes de singes et des peaux de léopards saisies au Gabon. Crédit photo : Conservation Justice

On estime des centaines de milliers d’animaux protégés massacrés en Afrique.

Cette demande a eu comme conséquence malheureuse une explosion du trafic illégal d’espèces sauvages, avec des retombées dramatiques pour la biodiversité. Les animaux sont souvent capturés et tués de manière cruelle, sans considération pour leur vie, leur impact écologique et leur rôle dans les écosystèmes. On estime à des centaines de milliers le nombre d’animaux protégés massacrés en Afrique. L’appât du gain fait disparaître toute autre considération chez les braconniers. Le braconnage et le trafic sont souvent alimentés par des groupes criminels internationaux très organisés qui sont un facteur majeur du déclin des populations d’espèces animales en Afrique.

Gouvernements, organisations internationales et associations de conservation travaillent de concert pour lutter contre le trafic de faune et le commerce qui en découle, mais la tâche demeure ardue malgré la mise en place de sévère législations à l’encontre des trafiquants, allant d’amendes à des sanctions pénales, en passant par la confiscation et destruction de produits de ces chasses illégales.

La lutte contre le trafic au Gabon

Situé en Afrique centrale, le Gabon possède une biodiversité riche abritant une grande variété d’espèces animales et végétales, dont plusieurs menacées d’extinction et localisées uniquement au Gabon et quelques pays voisins. On peut citer le picatharte du Gabon, le gorille de plaine de l’Ouest, le mandrill, le pangolin géant d’Afrique, l’éléphant de forêt d’Afrique. Le Gabon est d’ailleurs un refuge important pour les éléphants de forêt dont on estime le nombre à 95 000, soit plus de la moitié de leur population totale.

Depuis l’indépendance du Gabon en 1960, la protection de la faune et de la flore a été une préoccupation importante du gouvernement et des ONGs. Dans ce but, le gouvernement gabonais a créé en 1981 le Parc national des Plateaux Batéké, le premier parc national du pays (inscrit à l’UNESCO), puis d’autres aires protégées, telles que le Parc national de la Lopé en 2007 (également inscrit à l’UNESCO) et le Parc national de la Minkébé en 2012.

Dans une optique de conservation de la faune et de la flore sauvages, une loi a été adoptée en 2002 interdisant la chasse, la capture de certaines espèces animales et végétales ainsi que la destruction de leur habitat. Des unités spéciales de lutte contre le braconnage et les trafiquants ont vu le jour à cette fin.

Des défenses prêtes à passer la frontière dissimulées dans des valises. Crédit photo : Conservation Justice

Mais l’arsenal judiciaire et répressif mis en place n’ont pas découragé les trafiquants en raison notamment d’une faible application des lois. Le Gabon doit aussi faire à une difficulté supplémentaire étant considéré comme une zone de transit importante du trafic d’ivoire en provenance d’autres pays de la région, tels que la République centrafricaine, le Cameroun et la République du Congo. Les réseaux criminels opèrent souvent de manière transfrontalière et profitent de la faible application des lois dans certains pays. De plus le pays se retrouve confronté à des défis toujours plus grands en matière de protection de l’environnement à cause de la pression croissante exercée sur ses ressources naturelles via la déforestation, l’exploitation minière illégale et le braconnage qui s’ajoutent au trafic d’espèces sauvages.

Pour lutter contre ces menaces, les autorités peuvent compter sur le soutien d’organisations comme Conservation Justice, présente au Gabon depuis 2010 et qui travaille avec les autorités et les communautés villageoises. Créée en 2003 par Lucas Mathot, cette ONG appartient au réseau EAGLE (Eco Activists for Governance and Law Enforcement) qui lutte contre les grands trafics d’espèces sauvages et la corruption dans neuf pays africains en collaborant avec les gouvernements. Les deux objectifs principaux poursuivis par l’ONG sont de protéger les éléphants et les autres espèces menacées au Gabon et de lutter contre l’exploitation forestière illégale qui détruit leur habitat et la biodiversité.

Pour les atteindre, Conservation Justice s’attelle à l’identification à grande échelle des trafiquants d’ivoire et d’autres produits fauniques illicites afin de mener des actions en justice contre eux. Elle contribue à appuyer leur arrestation & les poursuites judiciaires et s’assure de l’exécution des verdicts prononcés. En complément de ces activités, Conservation Justice se charge de la formation spécifique du personnel des Eaux et Forêts, des douanes, de la Justice et des forces de l’ordre. Elle sensibilise également le grand public – en particulier les enfants en milieu scolaire – aux problèmes environnementaux, à l’importance de la conservation de la biodiversité et l’informe sur l’application effective de la loi sur la faune et la forêt (et des risques et peines encourus).

Lucas Mathot, le fondateur de Conservation Justice. Crédit photo : Conservation Justice

Un film pour sensibiliser 

En 12 ans, Conservation Justice a ainsi contribué à l’arrestation et à la condamnation de plus de 500 trafiquants, la majorité impliquée dans le trafic d’ivoire. Pour faire connaître le combat de cette ONG, le réalisateur Maxime Ginolin, assisté de son partenaire cameraman et monteur Guillaume Martinez, s’est rendu au Gabon en mai 2022. Caméra à l’épaule, ils ont suivi les actions de l’équipe de coordination de l’ONG ainsi que des informateurs sous couverture.

Une démarche qui n’était pas sans danger, car tout comme les membres de Conservation Justice et leurs collaborateurs qui risquent leur vie pour combattre des trafiquants, Maxime et Guillaume se sont exposés aux mêmes menaces que les personnes dont ils filment les activités. Leur documentaire les a amenés à se rendre dans des zones du Gabon très éloignées des villes, sans aucune protection étatique que ce soit, ne pouvant compter que sur leur bonne étoile. En cas de mauvaise rencontre, ils n’auraient eu aucun moyen de contacter les autorités policières pour leur venir en aide, de même qu’ils se retrouvaient également isolés de tout secours médical. Mieux valait ne pas tomber malade ou se blesser !

Documenter au plus proche le combat de Conservation Justice tenait à cœur au réalisateur Maxime Ginolin, ami de Luc Mathot depuis plusieurs années et avec qui il avait collaboré sur un clip musical déjà tourné au Gabon. D’une part parce qu’il est personnellement très engagé en faveur de la cause animale. Mais aussi, comme il nous l’a confié car “[il] souhaitait donner un exemple aux générations actuelles et qui arrivent, et leur donner des modèles qui pourraient les inspirer comme le furent en leur temps Diane Faussey et Jane Goodall.”

“Dans une société qui met en avant le vide et la médiocrité intellectuelle, je trouvais que c’était très important de montrer ce que d’autres personnes dans le monde peuvent faire et à quel point cela peut inspirant.” -Maxime Ginolin

Fin février, le documentaire a fait l’objet d’une diffusion sur la chaîne nationale de la télé gabonaise avec une interview du fondateur de Conservation Justice. Une mise en lumière plus que bienvenue pour sensibiliser à large échelle l’opinion aux causes que l’ONG défend.

Horizons positifs

Pour finir sur une note d’espoir, on constate une lente évolution des mentalités en Asie, résultat de campagnes de sensibilisation et d’éducation. De plus en plus de personnes prennent conscience des conséquences environnementales et éthiques de leur consommation d’ivoire, de cornes de rhinocéros, de peaux de léopard, etc.

Des initiatives ont été mises en place pour mettre en avant des alternatives durables et respectueuses de l’environnement et remplacer les produits d’origine animale. Des substituts sont promus à la place de l’ivoire, du cuir et de la fourrure, tandis que des produits végétaux sont utilisés en médecine traditionnelle en remplacement de ceux d’origine animale menaçant la survie d’espèces. La Chine a ainsi décidé de ne plus rembourser les médicaments traditionnels à base d’écailles de pangolins depuis le 1er janvier 2020, ce qui devrait contribuer à endiguer le trafic de cette espèce menacée d’extinction.

Si les gens cessent de réclamer ces produits, les trafiquants d’animaux perdront leur marché et le braconnage cessera mécaniquement. Quant à la situation géopolitique et économique qui mène ces réseaux à se lancer dans ce commerce, il s’agira ensuite évidemment de la résoudre en profondeur sur le plan social. Mais en attendant ce jour, l’action d’ONGs comme Conservation Justice reste primordiale.

S. Barret

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