Guiz, ex-chanteur de Tryo : « Je pense qu’il faut être radical »

1 month ago 67

Connu du grand public pour avoir chanté pendant 30 ans avec Tryo sous le nom de Guizmo, Guiz revient aujourd’hui avec son premier album solo, Utopia. À 53 ans, il n’a rien perdu de sa fibre revendicative, écologique et optimiste. Rencontre avec un artiste engagé depuis toujours.

Qui n’a jamais chanté L’hymne de nos campagnes avec un mélange de joie et de mélancolie dans la voix, rêvant intimement d’un monde un peu plus doux, plus vert et plus juste ? Cet hymne, Guiz l’a toujours dans la peau trois décennies plus tard et le prouve avec un premier album solo dans lequel humanisme et bienveillance tentent de se frayer un chemin, au sein d’un monde toujours plus dur. Entretien.

L’album Utopia, sorti en avril dernier, rassemble tous les combats menés par Guiz depuis 30 ans.

Mr Mondialisation : Tu viens de sortir un nouvel album, ton premier en mode solo après presque 30 ans d’expérience avec Tryo. Comment vis-tu cette nouvelle aventure ?

Guiz : « C’est un projet qui a été plus simple pour moi. Son côté réduit me permet d’être plus en lien avec la température culturelle actuelle car je peux de nouveau jouer dans des petits lieux, des fermes ou des cafés-concerts, ce qui n’était plus le cas avec Tryo. Cela m’a également offert une grande liberté artistique.

Avec Tryo, nous étions trois compositeurs donc le compromis était permanent. Là, j’ai eu envie d’avancer librement dans les textes comme dans la musique. Certains morceaux sont co-signés dans la composition et l’arrangement, mais perdurait ce sentiment de liberté – et tous les textes sont de moi. »

Mr Mondialisation : Le fait de travailler « seul » t’a-t-il permis des collaborations que tu n’aurais pas pu imaginer avant ? Je pense aux chansons Comme il est ou Débrancher.

Guiz : « Totalement. Pour Comme il est, j’ai été contacté par le groupe rennais TeKeMat qui m’a envoyé les bases du morceau. J’ai ensuite greffé dessus un texte qui parle de la place et la présence de l’humain sur Terre. Nous avons alors eu le déclic qu’il nous fallait absolument une présence féminine : j’ai alors contacté Mariaa Siga, chanteuse sénégalaise, qui est venue porter sa superbe voix au titre.

De nouveau, ce type de rencontres a été plus simple à créer qu’avec Tryo. Je n’ai pas eu à me poser de questions, j’ai juste écouté mon coeur ! Sur la chanson Débrancher, j’ai travaillé avec Mike et Riké de Sinsemilia, qui sont venus vers moi quand ils ont su que je préparais un projet solo. J’adore ce genre d’échanges, de possibilités ! »

Mr Mondialisation : De par cette liberté, tu explores d’autres styles musicaux, comme l’électro sur Quoi de neuf dans Babylone ?

Guiz : « Oui, j’ai eu envie de collaborer avec certains artistes, comme DJ Ordoeuvre. Grâce à lui, certaines sessions studio se sont transformées en laboratoire et cela a donné des morceaux comme Carnaval, Utopia, Quoi de neuf dans Babylone … Beaucoup d’entre eux sont un peu hybrides. Le liant, ce sont la voix et les textes, mais je ne me suis fermé à aucun style.

J’ai défini le style de l’album comme du « world électro » parce qu’on nous demande de coller une étiquette, mais en réalité, il n’entre dans aucune case et c’est très bien comme ça. Je ne me suis pas posé de questions, notamment liées au formatage demandé par les radios : je sais avec l’expérience que ce genre de concessions ne rend pas forcément heureux, donc je me suis payé le luxe de m’en couper et de faire ce je voulais vraiment.

De toute façon, dès qu’il y a quelque chose d’intéressant dans une chanson, les radios généralistes n’en veulent pas ! Elles n’ont pas pris mes chansons, et ça me va très bien, surtout quand on sait par qui certaines grandes radios sont détenues… Cet album, je l’ai vraiment conçu dans le but d’aller le jouer, de se faire plaisir, d’aller à la rencontre des gens, et de passer le mot sur mes colères du moment… car il y en a beaucoup. »

Mr Mondialisation : Justement, tes textes sont clairement engagés et s’inscrivent en cela dans la veine de ce que nous avons tous connu avec Tryo, à la fois engagés, révoltés et optimistes. Un état d’esprit qui persiste passé 50 ans ?

Guiz : « Totalement, et j’ai appelé l’album Utopia pour ça. Nous avons le droit de continuer à croire et à rêver… Avons-nous surtout le choix ? Je pourrais très bien me dire que tout le monde se fout de mes textes et que je suis aussi bien à rester dans ma maison pour y prendre ma retraite, aller me promener à la mer avec mon chien… Mais j’ai des enfants et je veux leur montrer que je contemple encore le monde, que j’aime rencontrer l’inconnu, contrairement à la haine ambiante, la violence, la peur de l’autre.

La musique est un super vecteur pour parler de tout ça car on peut y faire la fête en même temps. J’ai besoin d’expulser mes colères et mes incompréhensions pour ne pas devenir fou, alors autant « exploser » via la musique, et le faire avec bienveillance… Vous, en tant que média engagé, et moi, en tant qu’artiste, faisons régulièrement face à une colère malveillante, abritée derrière des écrans. »

« Nous devons résister et agir pour la contrer. Je ne peux pas laisser le RN gouverner mon pays, ou la FNSEA bousiller nos terres. Si j’arrive, par mes textes ou mes concerts, à en convaincre un ou deux, c’est déjà top ! »

Mr Mondialisation : Dans la chanson GPT, tu évoques la place occupée depuis peu par l’Intelligence Artificielle dans notre vie quotidienne. Comment imagines-tu l’avenir face à l’IA, notamment en tant que musicien ?

Guiz : « Je suis resté à l’écart de l’IA un long moment puis on m’a fait découvrir Suno, un logiciel musical géré par l’IA. J’ai pris une gifle quand j’ai réalisé tout ce qu’il était possible de faire… Nous devons commencer à nous protéger en tant qu’artistes : je ne voudrais pas qu’on utilise ma voix pour me faire chanter un texte d’extrême droite ! Je signe tout ce que je peux concernant la culture, les droits d’auteur, les droits à l’image…

L’IA se nourrit de tout ce qu’on crée sans jamais citer celles et ceux qui ont permis tout ça. Franchement, ça me fait flipper. Personnellement, je n’ai encore jamais utilisé ne serait-ce que ChatGPT mais les gens autour de moi se mâchent le travail avec l’IA. Pour moi, c’est signe d’une déshumanisation, d’un repli sur soi. Je n’imagine pas ce que ça pourrait devenir en termes de sexualité ou de solitude…

Et c’est sans compter le coût écologique, qui est exorbitant. Ils sont prêts à tout défoncer en terme de ressources pour qu’on puisse utiliser l’IA à outrance… La Terre est déjà à bout de souffle, mais on continue de creuser. Toutefois, je suppose que comme tout, il y a des choses positives à en tirer, en musique comme dans des domaines scientifiques, médicaux… L’humain restant très habile à faire n’importe quoi, je reste cependant très méfiant face à des personnes qui auraient le pouvoir et l’argent pour utiliser ça à des fins terribles. »

Mr Mondialisation : La fibre écologique est présente dans la majorité de tes textes. Quelles évolutions as-tu pu observer depuis les débuts de Tryo ?

Guiz : « J’y vois du positif. Quand on chantait L’hymne de nos campagnes à la fin des années 1990, nous étions perçus comme des hurluberlus hippies fumant des joints dans leur tipi… Aujourd’hui, on est conscient de ce qui se passe et les gens savent pourquoi ils chantent cette chanson. Il existe des mouvements radicaux dans l’écologie que l’on n’avait pas avant.

Je vais bientôt jouer à l’occasion d’un rassemblement autour du parti REVE, mené par Aymeric Caron et à l’appel de Frah de Shaka Ponk. Je veux rester dans ce combat et reste curieux de voir comment les gens agissent au sein de ce genre de partis. Donner mon argent à Sea Shepherd France, par exemple, ça me fait du bien. »

« La mouvance écologique moderne m’intéresse. Je pense qu’il faut être radical, car ils le sont en face. De plus, l’écologie fait aussi partie du combat contre l’extrême droite, car c’est un combat avant tout humain et solidaire. Un combat dans lequel nous devons continuer à croire, même s’il y a beaucoup de puissance et d’argent en face de nous. »

Mr Mondialisation : Quels sont les combats écologiques de ces dernières années qui t’ont marqué ?

Guiz : « Avec Tryo, nous avons participé à la ZAD de Nantes contre la construction de l’aéroport. Un combat que nous tous avons gagné et qui prouve que quand on veut, on peut. Il y a aussi celui de l’A69, que j’ai beaucoup relayé sur les réseaux. Là aussi, nous avons eu droit à une victoire, même s’ils essaient de la contourner.

Enfin, j’ai été très marqué par l’emprisonnement de Paul Watson. Je suis allé jouer à Rennes, j’avais activé autant de réseaux possibles avec mes amis pour essayer de faire bouger les choses… Sa libération fut un grand moment de soulagement. Je pense que le gouvernement français, qu’il serait hypocrite de ne pas remercier sur ce coup-là, a agi face à la pression populaire. La preuve que c’est utile ! »

Mr Mondialisation : Et au quotidien, comment fais-tu « ta part » ?

Guiz : « Là, au moment où je te parle, je suis dans mon jardin, dont la moitié du terrain n’est pas tondue. Je regarde les abeilles et les oiseaux, à qui ça semble plaire… C’est un petit geste ultra-simple et accessible à tous, et je me dis que si tout le monde faisait ça chez soi, ce serait déjà un énorme pas en faveur de la biodiversité.

J’essaie également au maximum de manger local et ai beaucoup réduit ma consommation de viande, même si je ne suis pas – encore – végétarien. Je fais mon marché, donne mon argent aux petits producteurs et ai totalement arrêté le poisson car la pêche industrielle est à la fois du pillage et de l’empoisonnement. J’essaie d’une façon générale de faire attention à ma consommation, et j’éduque mes enfants à ça, je fais passer le message.

Je me rapproche également d’associations comme Bien vivre en Bretagne Romantique, qui propose régulièrement des marchés ambulants, valorise le travail de petits producteurs locaux… J’ai arrêté de boire du Coca et me suis mis au Breizh Cola (rires) ! Evidemment, ce sont les gouvernements et les multinationales qui ont les clés et devraient changer les choses, mais en tant que consommateurs, il nous faut saisir le pouvoir que nous avons de consommer autrement. »

Mr Mondialisation : Le 11 juin tu as sortis une chanson en soutien à Sea Shepherd France, Mal à la mer. Comment ce projet est-il né ? En quoi t’es-tu senti concerné ?

Guiz : « Quand Paul Watson était emprisonné, un grand concert a été organisé à Rennes pour le soutenir. Un ami, nommé Kévin, est venu vers moi pour essayer de rassembler des artistes et les encourager à faire vidéos de soutien. Parmi eux, le jeune Matjé avait créé un petit bout de chanson intitulée Mal à la mer. Il est revenu vers nous après la libération de Paul Watson pour qu’elle devienne un titre au profit de Sea Shepherd France : s’y sont joints Guillaume Meurice, Lamya Essemlali, Renaud, Didier Wampas, les Ogres de Barback… Les profits de cette belle chanson seront intégralement reversés à Sea Shepherd France.

Je me suis personnellement senti concerné car j’ai moi-même arrêté de consommer du poisson et invite tout un chacun à limiter au maximum sa consommation. Les énormes bateaux-usines qui ravagent les fonds des océans sont terrifiants, nous dévastons tout… Et quand on voit que Trump signe des décrets autorisant à pêcher dans des sanctuaires marins, on se dit que c’est loin d’être fini. Pourtant, les océans sont notre poumon, ils régulent notre oxygène, la température terrestre… Or, à l’heure actuelle, Sea Shepherd est la seule police des mers qui existe. Cela me semble donc naturel de les soutenir.

En parallèle, un autre morceau va sortir fin juin en partenariat avec les hôpitaux des villes de Saint-Malo, Dinan et Cancale, qui sont tous dans un état alarmant, à l’image de tous les services publics. Nous en sommes arrivés au fait qu’ils ont besoin de financer l’achat de microscopes pour les services pédiatriques… Personnellement, je suis heureux de gagner ma vie et de payer mes impôts, mais je suis révolté de voir des Bernard Arnault multiplier leur fortune pendant que le service public crève. Ce projet a été un beau moment de partage, je m’y suis senti utile en tant qu’artiste engagé. »

Mr Mondialisation : Avec Carnaval ou On se recommence, tu évoques le monde politique, ses déboires, ses hypocrisies, ses dangers. Que ressens-tu face à la montée de l’extrême droite ?

Guiz : « Le morceau On se recommence est inspiré de lettres de mon grand-père réunionnais, qui était engagé pendant la Seconde Guerre Mondiale. Il a fait partie des troupes du général Leclerc, et a notamment décrit son arrivée au Nid d’aigle, un lieu qui servait aux rassemblements du parti nazi. J’ai réalisé que tout ça, c’est arrivé il n’y a pas si longtemps, et que mon grand-père a fait partie de ceux qui ont tout fait pour arrêter la barbarie… Nous tapons sur l’extrême droite depuis toujours avec Tryo.

Aujourd’hui, je vis dans un petit village breton dont la moitié des votes est allée à l’extrême droite… Je trouve ça flippant quand tu arrives à l’école de lendemain et que tu y vois les quelques familles issues de l’immigration. Que doivent-elles penser ? Que la moitié des parents autour d’eux ne veulent pas d’eux ? »

« Nous sommes à une époque où nous voulons aller et voyager partout, alors pourquoi les autres n’auraient pas le droit de venir chez nous ? Je suis très inquiet de cette montée de l’extrême droite, je continue de voter mais plus par opposition que par choix. J’aimerais une réelle union de la gauche, quelque chose de neuf, qui fasse rêver. Une utopie ! »

Mr Mondialisation : Comme le nom de ton album, Utopia : es-tu donc un utopiste ?

Guiz : « Je pense que je le suis. Nous devons continuer de rêver, de nous battre. Enfant, je voulais être musicien et mon père m’avait prévenu que j’allais galérer. Et pourtant ! J’y ai cru et j’ai eu une vie de rêve. Je veux rester convaincu, rêver pour mes enfants car je veux qu’ils rêvent aussi, le leur donner le droit d’avoir des projets. »

Mr Mondialisation : Un dernier mot pour nos lecteurs de Mr Mondialisation qui tentent, comme toi, de rendre le monde un peu plus beau ?

Guiz : « Je leur dirais de ne pas perdre espoir, de se rapprocher et s’ouvrir à ce qui se passe autour d’eux, d’avancer ensemble dans le monde associatif. Nous avons en France un tissu incroyable. C’est seulement ensemble qu’on va y arriver. Si nous voulons des dirigeants dignes de ce nom, alors nous allons devoir les chercher. Il faut se bouger, il faut y croire ! »

Guiz est actuellement en tournée dans toute la France : rendez-vous sur sa page Facebook pour découvrir les dates à venir.

Entretien réalisé par Renard Polaire


Image d’en-tête : ©Bruno Bamdé

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