Livraison du dernier kilomètre : quelles solutions demain pour décarboner la logistique ?

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Les microhubs en ville peuvent faciliter le relais entre poids lourds et vélos-cargos pour la livraison du dernier kilomètre. Shutterstock

Comment réduire l’impact climatique des premier et dernier kilomètres des livraisons ? Pour le secteur de la logistique, le défi est de taille. Outre les leviers technologiques, comme le recours à des énergies renouvelables pour les véhicules, des solutions organisationnelles existent. La question du soutien des pouvoirs publics se pose, si l’on souhaite que ces solutions soient déployées à grande échelle en France.


La logistique représente au moins 16 % des émissions de gaz à effet de serre en France, soit 63 millions de tonnes équivalent CO2. Elle est également une source significative d’artificialisation des sols : elle représente environ 4 % de l’artificialisation totale en France entre 2010 et 2019.

La logistique urbaine pèse quant à elle pour 25 % des émissions de gaz à effet de serre des transports en ville, pour 33 % des émissions de polluants atmosphériques et 30 % de l’occupation de la voirie, sans oublier les nuisances sonores qu’elle génère.

Pour que l’objectif de la stratégie nationale bas carbone (SNBC) de baisser de 50 % des émissions de gaz à effet de serre à horizon 2030 soit tenu, les évolutions technologiques telles que l’électrification des flottes ne suffiront pas, quand bien même elles sont indispensables. Il faut donc transformer ce secteur qui représente aujourd’hui 1,8 million d’emplois en France. L’optimisation des flux logistiques et la réduction de leur impact doit aussi passer par des innovations organisationnelles.

Au cours des dernières décennies, plusieurs types de solutions ont déjà été expérimentées en France. L’Agence de la transition écologique (Ademe) a lancé, en 2024, l’eXtrême Défi Logistique, un programme d’innovation visant à imaginer puis à déployer des démarches d’optimisation de la logistique du premier et dernier kilomètre. Dans le cadre de ce programme, elle a identifié trois solutions existantes particulièrement intéressantes sur lesquelles elle a mené une analyse rétrospective :

  • les centres mutualisés de distribution urbaine,

  • les microhubs (microplateformes logistiques, en général optimisées pour une livraison finale par des modes de transport doux),

  • et la mutualisation des circuits courts alimentaires de proximité.

L’enjeu était de mettre en évidence les forces et les faiblesses de chacune d’entre elles afin d’identifier les conditions auxquelles elles pourraient être mises en œuvre à grande échelle en France. Un appel à projets « Ideation », a également été lancé, dans le cadre de l’eXtrême Défi Logistique, pour imaginer et concevoir ce type de solutions sur des territoires partout en France. Quatorze lauréats sont soutenus par l’Ademe. Dès début 2026, une phase d’expérimentation sera lancée pour tester concrètement ces solutions.

En quoi consistent ces différentes solutions et à quelles conditions peuvent-elles fonctionner ? Quel rôle peuvent jouer les collectivités pour assurer leur succès, la coordination entre seuls acteurs privés paraissant compliquée à impulser ?

Des centres de distribution urbaine

La première solution, dont l’Ademe a recensé dans son étude 33 expérimentations, bénéficie déjà d’un certain recul. Les « centres de distribution urbaine » (CDU) sont de petits entrepôts installés en périphérie des centres-villes qui agrègent les flux de différents transporteurs et grossistes pour ensuite organiser des tournées de distribution optimisées vers les centres-villes.

Le but est de réduire le nombre de kilomètres parcourus, le nombre d’arrêts des véhicules, mais aussi les coûts de la livraison du dernier kilomètre. La mutualisation des flux, dont ces CDU sont une forme, participerait dans les villes denses à une diminution de 10 % à 13 % des émissions de gaz à effet de serre.


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Les premiers projets de CDU, issus du principe des gares routières nées dans les années 1960, émergent dans les années 1990. Parmi les cas étudiés, une partie est privée ou semi-privée, prise en charge par des opérateurs eux-mêmes et d’autres mixtes ou publics. Ces derniers sont portés par les pouvoirs publics et s’apparentent à un « service public » de livraison de marchandises. Certains CDU sont dits « spécifiques » et associés à une activité particulière (chantier de BTP, livraison de marchandises dans un lieu contraint comme un aéroport…). Enfin, les CDU peuvent être mutualisés, c’est-à-dire partagés entre plusieurs plusieurs opérateurs de transport.

L’étude a montré que les difficultés étaient essentiellement liées au modèle économique, du fait notamment d’un manque de flux. Les projets qui ont réussi à se pérenniser ont trouvé un équilibre entre coûts d’exploitation et revenus, en diversifiant leurs sources de financement et en intégrant des services à valeur ajoutée comme le stockage déporté ou la préparation de commande.

Des entrepôts agrégeant les colis en périphérie urbaine permettent d’optimiser la livraison en centre-ville. Shutterstock

Le milieu étant concurrentiel, l’idéal est que la démarche soit portée par une collectivité, qui initie par exemple une structure juridique (coopérative, groupement d’intérêt économique, délégation à une société locale) et met en place une réglementation incitative. Comme des restrictions de circulation ou la mise à disposition de véhicules électriques uniquement qui attireront certains acteurs.

À Lille, un centre qui avait fermé va ainsi être relancé pour réaliser des tournées de livraison mutualisées entre les transporteurs du dernier kilomètre.

Des microhubs au cœur des villes

Autre option, plus récente et encore balbutiante : les microhubs, qui ne bénéficient pas du même recul que les centres de distribution urbains. Ces mini-entrepôts prennent souvent la forme d’une structure légère implantée en cœur de ville, par exemple sur une place de parking. Ces petites installations visent à stocker temporairement de la marchandise afin de réduire les distances parcourues pour la distribution et/ou le ramassage des biens.

Ils facilitent également la rupture de charge entre un poids lourd et des vélos-cargos. La possibilité d’entreposer pour une durée limitée les marchandises permet d’éviter tout temps d’attente entre l’arrivée d’un poids lourd pour décharger et le relais par des vélos cargo. Ces derniers peuvent ainsi rayonner autour du microhub pour réaliser les approvisionnements des établissements économiques locaux.

Autrement dit, les microhubs pallient un déficit en espaces fonciers pour la logistique urbaine dans des zones urbaines denses ou permettent de répondre à un besoin exceptionnel, par exemple pour un événement de grande ampleur qui porte atteinte à la performance logistique, comme l’organisation d’un grand événement sportif type Jeux olympiques. Ces expérimentations présentent aussi l’intérêt de tester la pertinence d’une implantation temporaire pour la logistique urbaine avant d’envisager d’éventuels aménagements plus pérennes. Ils peuvent être fixes ou mobiles, temporaires (de quelques mois à quelques années) ou durables.

D’après l’étude, le modèle souffre de moins de verrous économiques que les centres de distribution urbains, mais il requiert une volonté politique en faveur de la cyclologistique : ce sont souvent les enjeux fonciers et une absence de cadre réglementaire structurant qui limitent leur succès. À Nantes, un projet porté par Sofub (filiale de la Fédération des usagers de bicyclettes), vise ainsi à évaluer le potentiel de déploiement de microhubs sur plusieurs territoires afin de tester leur pertinence.

Mutualiser les circuits courts alimentaires de proximité

La mutualisation des circuits courts alimentaires de proximité (CCAP), enfin, entend répondre aux problématiques que pose la vente d’aliments secs ou frais en filière courte en envisageant la mise en commun des ressources et des moyens mobilisés pour faire circuler ces produits entre producteurs et consommateurs. Dans le cadre de notre étude, le rayon est fixé à 160 km. Les producteurs étant en général contraints d’utiliser leur propre camionnette pour venir en ville commercialiser leurs produits, la démarche est coûteuse, les véhicules souvent vieillissants ne sont en outre pas forcément bien remplis. Ainsi, les circuits courts alimentaires ne sont ainsi pas toujours aussi vertueux qu’espéré.

L’idée de la mutualisation des CCAP est de mettre en place des organisations mutualisées pour acheminer les récoltes vers les villes de façon professionnalisée. Plus matures que les microhubs, les structures porteuses de ce schéma, nées il y a une vingtaine d’années, connaissent déjà de nombreux succès. Elles impliquent toutefois de prendre en compte beaucoup de critères : le type de consommateurs (entreprises ou particuliers), la complexité du circuit court, l’internalisation ou non des opérations logistiques, le support de mutualisation (matériel ou plate-forme virtuelle)…

La principale difficulté relevée par l’étude est de convaincre les producteurs de changer leurs habitudes et d’identifier la structure qui va se charger de cette organisation. Une association de producteurs ? La collectivité ? La Chambre d’agriculture ?

À cet égard, un projet prometteur mené par le Département de l’Aveyron a été retenu comme lauréat de l’appel à projets de l’Ademe : il associe la Chambre d’agriculture, les collectivités partenaires et les programmes alimentaires territoriaux (PAT) pour créer une société coopérative d’intérêt collectif (Scic) qui aura pour objet d’optimiser la logistique des circuits courts à l’échelle du département, au travers du ramassage mutualisé et de la distribution optimisée.

L’approche, à l’échelle d’un département entier, permet d’envisager des gains d’efficacité et d’échelle assez importants, tout en facilitant le recours à ces offres par les acteurs locaux.

Quel rôle pour les collectivités ?

L’analyse rétrospective de ces trois options de décarbonation de la livraison a mis en évidence la nécessité, pour que ces solutions fonctionnent :

  • d’un modèle économique robuste,

  • d’une localisation stratégique,

  • d’une bonne coordination entre parties prenantes,

  • d’un soutien réglementaire et financier,

  • et d’un bon usage des outils numériques et des plates-formes collaboratives.

Elle souligne aussi que ces solutions ont toutes besoin, pour fonctionner, d’être encouragées par une volonté politique plus forte des collectivités. Laisser s’organiser des acteurs privés entre eux ne suffira pas, la coopération entre collectivités, transporteurs, commerçants et citoyens est déterminante pour l’adhésion et l’acceptabilité de ces projets.

Ce rôle des collectivités peut prendre différentes formes. Elles peuvent accompagner des projets en facilitant l’accès au foncier, en incitant à la mutualisation des flux, en mettant en place des leviers réglementaires et en intégrant ces infrastructures dans la planification urbaine.

Les collectivités peuvent également développer des incitations économiques et fiscales, pour soutenir les initiatives locales et encourager les transporteurs à utiliser ces infrastructures.

Elles peuvent enfin améliorer la collecte et le partage des données sur les flux logistiques, afin d’optimiser la planification et le suivi des performances environnementales et économiques.

À Padoue, en Italie, un péage urbain a par exemple été mis en place pour les véhicules de marchandises. Livrer dans la ville exige une licence et, en parallèle, un opérateur municipal, exonéré du péage urbain, a été mis en place. Les acteurs économiques ont ainsi le choix entre payer le péage ou passer par cet acteur municipal. En France, la ville de Chartres a elle aussi limité l’accès au centre-ville pour les véhicules de livraison et a créé une solution locale.

The Conversation

Tristan Bourvon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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