Il y a deux sortes de papes : les crâneurs et les sournois. Les premiers adorent péter plus haut que leur tiare, ont toujours quelque chose à dire sur tout, sont friands de bains de foule et de caméras, travaillent à fond leur storytelling et ne perdent jamais une occasion de faire savoir urbi et orbi que l’Église catholique, apostolique et romaine est la seule à détenir la Vérité révélée. Les seconds préfèrent rester discrets mais n’en pensent pas moins. Depuis Jean-Paul II, qui est un peu au Vatican ce qu’Elvis est à Memphis, on était plutôt habitués à la première catégorie. Même Benoît XVI, sous ses airs renfrognés de vieux pruneau oublié au fond du bocal, ne pouvait s’empêcher de la ramener dès qu’il en avait l’occasion. Le pompon de la poudre aux yeux ayant été décroché haut la main par ce bon François, qui est parvenu à s’imposer pour les siècles des siècles comme le pape « de gauche », progressiste et écolo, limite altermondialiste. Heureux les simples d’esprit…
Changement d’ambiance avec l’élection, en mai dernier, de Léon XIV. Au revoir José Bové, bonjour Michel Barnier. Depuis six mois, l’Américain se la joue Sphynx : il parle peu et, à défaut d’énigmes, émet surtout des banalités oecuméniques. À part sa toute récente prière commune avec le roi à la tête de chou Charles III, également chef de l’Église anglicane, les amateurs de glamour papal n’ont pas eu grand-chose à se mettre sous la dent. Sauf, bien sûr, si l’on s’amuse à regarder dans les coins.
Une vraie ligne idéologique
La semaine dernière, Jean-Yves Camus rapportait dans ces pages une cérémonie très particulière qui s’est tenue le samedi 25 octobre dans la basilique Saint-Pierre de Rome. Une messe. Mais pas n’importe laquelle : une messe tridentine, selon le rite romain ancien, déclaré caduc par le concile Vatican II dans les années 1960. Oui, la bonne vieille messe en latin, bien tradi, bien rance, gourmandise préférée des intégristes de la Fraternité Saint-Pie-X de Mgr Lefebvre, dont les os ont dû frétiller de plaisir au fond de son tombeau. Longtemps cantonnée aux marges les plus fanatisées de l’Église, la messe tridentine avait retrouvé son odeur de sainteté et métastasait un peu partout depuis quelques années. Soucieux de ne pas écorner son image de pontife « réformiste » et ouvert, le pape François avait décidé de l’interdire formellement dans l’enceinte vaticane en 2021.
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Son successeur a donc levé l’interdit. Et par ce geste, il a affirmé une vraie ligne idéologique. Car celui qui a célébré cette messe rétrograde en ce lieu très emblématique n’est pas un banal curé de campagne un peu moisi, mais le très influent cardinal américain – lui aussi – Raymond Burke, sorte de Steve Bannon en soutane qui considère que les médecins avorteurs, les homosexuels, les féministes et les chercheurs scientifiques sont des affidés du Malin. Pendant l’épidémie de Covid-19, il prêchait contre l’obligation vaccinale, expliquant que les vaccins contenaient des micropuces espionnes et que la meilleure façon de se protéger du virus était de prier Jésus. Il est une figure majeure de ce que l’Église catholique compte de plus réactionnaire, obscurantiste et politiquement à l’extrême droite.
Léon XIV a donc fait sauter le mince cordon sanitaire qui existait encore entre illuminés radicaux et illuminés centristes, et ouvert grand les portes du coeur symbolique de l’Église à sa fraction la plus fanatique et offensive. Par la même occasion, il nous a fourni une précieuse indication de l’orientation qu’il entend donner à son pontificat, qui avait jusqu’à présent des airs faussement bonasses. Ce pape-là pourrait bien réussir l’exploit d’être encore plus faux-cul que le jésuite François.

1 week ago
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