Les miradors ont beau être plus haut perchés qu’ailleurs ; les murs si lisses et sans prises ; les barbelés si griffus ; et les environs si scrutés par les surveillants et policiers, il n’y a rien à faire. Posté devant l’entrée de la prison de Vendin-le-Vieil, près de Lens (Pas-de-Calais), il y a ce frisson qui vous traverse. Derrière le béton, Salah Abdeslam, un des terroristes des attentats de novembre 2015, est là. Il y a le fuyard de renommé, Rédoine Faïd. Abdelhakim Sefrioui aussi, un des condamnés pour l’assassinat de Samuel Paty. Et le tueur Jean-Michel Jourdain, auteur d’un quadruple assassinat et du viol de jeunes adolescentes – avec la complicité de son frère – lors d’un carnaval, en 1997. Après les annonces de Gérald Darmanin, en mars dernier, pour lutter contre le trafic de drogue, ces gars-là ne seront sûrement plus là en juillet. Remplacés par l’arrivée d’une petite centaine des « plus gros narcotrafiquants » du pays, dixit le garde des Sceaux, dans le centre pénitentiaire transformé en « prison de haute sécurité », à l’italienne. Et on vibre toujours.
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Depuis l’ouverture de la prison, il y a dix ans, les Vendinois, eux, contiennent leurs tremblements. Benoît a le crâne dégarni. Géraldine a les racines brunes apparentes. Tous les deux se tiennent péniblement accroupis devant la poussette garnie du petit dernier, en pleurs au milieu d’un petit parc animalier. Une autruche face à lui. La prison à quelques mètres, derrière. « Faut pas croire, on s’est habitué ici. Regardez, il a plus peur de l’autruche que des criminels, je pense ! », braille un coup le jeune couple d’agents immobiliers. Puis, on a parlé du climat du moment et des attaques qui se multiplient partout en France aux abords des prisons et chez les surveillants, signées « DDPF » (Pour « Défense des droits des prisonniers français »). Et Géraldine s’est rappelé qu’il n’y a rien de si banal à avoir de grands meurtriers pour voisins. « En 2018, j’avais pris un gros stress parce que mon ex-mari faisait des missions d’intérim à l’époque dans les cuisines du centre et il ne me répondait pas le jour où il y a eu l’attaque contre les surveillants de cellule avec un couteau de la cantine », lâche-t-elle. C’était un coup du terroriste allemand Christian Ganczarski, craignant son extradition vers les États-Unis pour sa responsabilité dans les attentats du 11 septembre.
« On sait qu’on est les prochains sur la liste »
David Lacroix, toujours maton à Vendin-le-Vieil, n’y pense plus trop. Lorsqu’on le rencontre, il a le regard qui fuit un peu partout autour. L’oeil du métier sans doute. Surtout, pas l’habitude de traîner de l’autre côté de la grille si longtemps ces temps-ci. Il nous dit, direct : « On sait qu’on est les prochains sur la liste, on a été obligé de s’adapter, il y a des patrouilles qui circulent autour de l’établissement et des mesures de sécurité renforcées. » Ici, on penche plus pour la thèse d’une coalition de narcotrafiquants que celle de l’ultragauche. « Ça remonte doucement dans le Nord. Il y a eu l’Isère, Fresnes. Là, encore hier, ils étaient à Caen. Il y a cinq véhicules qui ont été brûlés. » Et c’est dommage, car David y croyait fort à sa future prison de haute sécurité. « On voit vraiment que la classification des établissements porte ses fruits. On l’a vu avec les détenus radicalisés. Quand ils sont isolés, ils peuvent moins endoctriner et moins convertir des détenus fragiles. C’est la même chose pour les narcotrafiquants. Comme l’a dit le ministre, il faut vraiment les couper de toute communication avec l’extérieur et les empêcher de se faire livrer par drone dans leur cellule », pense-t-il.
Et le surveillant rêvait déjà en gadgets. Un éclat dans l’oeil pour « le passe-menottes » : un système de trappes imbriqué aux portes des cellules pour menotter le détenu sans contact direct, « comme aux États-Unis », d’après David. Et un deuxième éclat pour les « arrêteurs de portes » : « C’est un dispositif de sécurité qui permet à la porte de se refermer automatiquement si le détenu frappe dessus ». Et, d’ici l’arrivée des narcotrafiquants, il y aura aussi des grillages en fer sur les fenêtres : des « caillebotis », comme on dit ici. Il y avait presque de la douceur quand il parlait de Salah Abdeslam ou Jean-Michel Jourdain pourtant. David disait : « Avec eux, on travaille sur la longue durée. Donc on a une relation particulière avec les détenus. On a plus de dialogue et de relationnel, c’est certain. » Pour les gros dealers, plus de pitié. À la prison, on parle d’eux en ferraille, en « passe-menottes » et on grogne des tags DDPF qui les menacent.
Voilà l’ambiance qui règne à Vendin-le-Vieil depuis les annonces de Gérald Darmanin : celle d’une nouvelle peur. Il y a dix ans, l’installation de la prison a eu du mal à passer. Les Vendinois s’y sont accoutumés et il faudrait désormais tout recommencer. Joëlle et Guy traînent un vieux chariot à roulettes le long du petit marché hebdomadaire du centre-ville. Il y a un peu de viande dedans. « C’est vrai qu’on faisait partie de ceux qui râlaient à l’époque, mais la ville nous a rassurés et on se sent en sécurité », avoue Joëlle. Maintenant il y a des caméras dans les rues. Et le couple de retraités joue la dissuasion depuis qu’ils ont « vu un gars rôder autour de la maison des voisins ». Sur leur portail, pas de caméra, ni d’alarme. Juste un panneau jaune criard : « Attention ! Maison protégée ». Ça revient moins cher et « ça marche », paraît-il.
« Racaille » ou tueur en série ?
Puis « faut bien qu’elle soit quelque part cette prison », dit encore Joëlle. Peu importe alors si le patelin est plus connu pour ses cellules dernières générations que pour sa culture minière et ses terrils, « la cohabitation se passe très bien ». Et quand Guy en parle, on décèlerait presque une pointe de fierté. « Quand on suit les affaires de meurtre et les procès, on se dit que les mecs vont peut-être venir à Vendin, déballe-t-il. Quand j’ai vu aux infos l’évasion de Rédoine Faïd en hélicoptère, je me suis demandé si c’était possible chez nous et ensuite ils l’ont emmené ici. » Ou comment la télé a starisé les criminels du genre à force d’émission nommée « Faites entrer l’accusé » et autres « Crimes » ou « Enquêtes criminelles ». Les tueurs d’hommes et fomenteurs d’attentats devenus des voisins un brin sympathique dont on parle sans crainte derrière des couches de grillages et de bitumes.
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« Les trafiquants c’est pas pareil », pour Joëlle qui imagine déjà les points de deal se multiplier autour de la prison avec l’arrivée des plus grands dealers du pays. Ludovic Gambiez, maire de la ville, l’a bien saisi : « C’est ce que craignent la plupart des habitants et les élus. C’est que les narcotrafiquants de passage en profitent pour continuer leur commerce. Le risque est connu quand on a un public avec de gros moyens, ils peuvent faire pression sur les agents pénitentiaires à l’intérieur ou, comme on le voit en ce moment, à l’extérieur. » Puis, l’importation de la drogue et des règlements de compte ici, en terre historique du Rassemblement national, réveille aussi la haine des Vendinois contre « la racaille », nous dit Marine, une proche voisine de Guy et Joëlle, assistante sociale. Douze ans qu’elle subit les petites galères de quartier. La salle du club de foot brûlée. L’incendie d’une voiture à 2 heures du matin par des « jeunes maghrébins » d’après les caméras de surveillance. Ou l’incendie chez un voisin, « devinez par qui », accuse Marine.
C’est comme ça à Vendin-le-Vieil. Vous parlez prison pour narcotrafiquants avec Jacques, un ancien policier Vendinois, une moto débridée passe et il finit par vous déclamer sa « honte de la France » et son programme politique « pour accepter toutes les religions, mais tous en jean dans les rues ». D’ailleurs Jacques, lui, n’a plus peur des prisons. Au contraire : « Qu’on en construise dans chaque ville, ça nous fera de la paix ! », cingle-t-il. Les bras ouverts aux jeunes narcos engrillagés et un triste au revoir contenu à Jean-Michel Jourdain.