Dans une tribune poignante, Laura Tournand, directement concernée par les troubles psychiques, réagit à l’émission Parlons santé mentale diffusée sur France 2 le 3 juin 2025. Elle y exprime sa colère face à un traitement médiatique qu’elle juge déconnecté, édulcoré, voire violent par omission. Nous publions sa tribune.
Entre légèreté de ton, clichés rassurants et absence criante des réalités du terrain, l’émission Parlons santé mentale a édulcoré, selon Laura Tournand, la réalité de la santé mentale. Dans une tribune sans concession, elle dénonce l’écart béant entre les discours publics et la brutalité du quotidien des personnes en souffrance psychique.

Tribune
Le 3 juin 2025 au soir, France 2 diffusait l’émission Parlons santé mentale, présentée comme un grand rendez-vous de sensibilisation. J’ai regardé, avec l’attention fébrile de celles et ceux qui espèrent, enfin, se voir représenté·es. Je suis moi-même concernée par des troubles psychiques. Ce que j’ai vu m’a bouleversée. Non pas par la justesse du propos, mais par l’abîme qu’il creusait entre la réalité et ce que l’émission en donnait à voir.
Une atmosphère de légèreté gênante, parfois déplacée, a plané tout au long du programme. Rires faciles, plaisanteries superficielles, échanges rythmés comme un talk-show du samedi soir… alors que le sujet mériterait silence, lenteur, écoute. L’ambiance semblait en totale dissonance avec la gravité du thème.
« Comme si la souffrance psychique pouvait être adoucie par un décor lumineux et des sourires forcés. C’est précisément cette dissonance qui m’a heurtée. Elle trahit une méconnaissance profonde de ce que signifie vivre avec des troubles psychiques : la solitude, l’errance, la peur, l’invisibilité. »
Ce que l’émission a choisi de passer sous silence.
C’est ce qui m’a le plus consternée. Aucun mot sur les centres médico psychologiques saturés. Aucun mot sur les délais d’attente ahurissants, les six mois pour un premier rendez-vous. Aucun mot sur la pénurie dramatique de psychologues et psychiatres accessibles. Aucun mot, surtout, sur la réalité de l’hospitalisation psychiatrique en France : l’enfermement, l’isolement, le manque de moyens criant, les services surchargés.
Rien de tout cela n’a été dit. Rien. À la place, on nous a parlé d’équithérapie, de surf-thérapie… des pratiques marginales, parfois inspirantes, mais qui ne concernent qu’une infime minorité. C’était comme présenter un banquet à des gens qui meurent de faim.

Et que dire des témoignages ? Brillants de brièveté, polis jusqu’à l’effacement. On a tendu le micro, oui, mais sans jamais vraiment écouter. On a parlé de santé mentale comme on parle de météo : rapidement, prudemment, sans aspérité.
Aucun mot, là encore, sur les troubles borderline, pourtant si fréquents, si stigmatisés, si mal compris. Deux millions de personnes concernées, et pas une seule voix pour porter cette réalité. Comment ne pas y voir une forme d’effacement ?
L’individualisation de la santé mentale
Le message final, distillé à demi-mot, sonnait comme une injonction déguisée : mangez équilibré, dormez bien, faites du sport, allez voir un psy. Comme si les causes de la souffrance psychique se résumaient à une mauvaise hygiène de vie. Comme si tout cela relevait d’un simple choix, d’un effort individuel. Ce n’est pas seulement réducteur. C’est une négation en règle de la complexité de la détresse mentale. Et cela peut avoir des effets délétères sur celles et ceux qui regardent avec l’espoir d’être compris.

Moi, cette émission m’a blessée. Profondément. Elle m’a renvoyée à l’incompréhension, à la solitude, à l’impression de ne pas exister dans le regard collectif. Elle m’a même, je l’écris sans détour, donné des idées noires. Parce qu’il n’y a rien de plus violent, quand on souffre, que de se sentir caricaturé, ignoré ou effacé.
Ce qui m’a le plus glacée, c’est ce vide béant entre les discours policés qu’on nous sert et ce que nous vivons au quotidien.
L’invisibilisation de la casse du service public
Ce gouffre entre la communication rassurante du service public et la violence nue de la réalité : les mois d’attente pour un rendez-vous, l’impossibilité de trouver un professionnel, les hospitalisations sans suivi, les urgences saturées, les rechutes faute de soins, l’isolement qui tue. Ce gouffre, on y tombe. Tout les jours. Et pendant ce temps, on nous parle de surf-thérapie…

Tant que les médias continueront à fabriquer des récits lissés, déconnectés, édulcorés, ils ne feront qu’aggraver ce fossé. Informer, ce n’est pas enjoliver. Sensibiliser, ce n’est pas divertir. Parler de santé mentale, ce n’est pas aligner des slogans sur fond de lumière tamisée : c’est montrer le réel, même quand il dérange. Surtout quand il dérange.
– Laura Tournand
Photo de couverture de Sydney Latham sur Unsplash
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