Qui regrettera le régime de Téhéran le jour où il s’effondrera ? Pas grand monde, probablement. C’est peut-être le pari qu’a fait Netanyahou en lançant ses bombardiers sur l’Iran. Officiellement, c’est le programme nucléaire qui est l’objectif, et officiellement, les chancelleries s’indignent de ce recours à la force. Car des décennies de négociations pour mettre fin au programme nucléaire de l’Iran, dont l’obsession est la fabrication de l’arme atomique, n’ont jamais obtenu de ce pays qu’il y renonce définitivement. Le chef du gouvernement israélien, menacé de poursuites judiciaires nationales et internationales, doit penser que cette guerre maintiendra autour de lui une union sacrée, même au-delà des frontières de son pays. Quoi que je fasse, soutenez-moi, vous n’avez pas le choix, car je suis le seul à vous protéger des délires nucléaires des mollahs iraniens.
Liquider les chefs du Hezbollah, du Hamas ou de la République islamique d’Iran, qui s’en plaindra ? Cette stratégie peut rallier derrière Netanyahou des acteurs de la région, au Liban, en Syrie ou en Arabie saoudite, qui, en secret, sont bien contents de voir leurs adversaires pulvérisés par des bombes, fussent-elles larguées par le chef de l’État hébreu. Chacun, dans sa petite tête, fait ses calculs d’épicier. Entre la colonne crédit et la colonne débit, qu’est-ce que je gagne, qu’est-ce que je perds en soutenant, même en silence, la stratégie de Netanyahou ?
Dans cette arithmétique sans états d’âme, s’il y en a qui ne pèsent pas bien lourd, ce sont les Palestiniens. Sur ce nouveau champ de bataille où plusieurs fronts ont été ouverts en même temps, manifestations pour faire cesser les bombardements sur Gaza et laisser entrer l’aide humanitaire dont ses habitants ont cruellement besoin risquent de se perdre dans le fracas des tirs de missiles et des intérêts particuliers. Une fois de plus, les Palestiniens vont servir de variable d’ajustement à des manœuvres politiques qui dépassent le cadre de leur conflit avec Israël. Si demain le régime de Téhéran s’effondre sous les coups de boutoir des F-35 israéliens, et si après-demain est amorcée en Iran une transition démocratique, Netanyahou passera du jour au lendemain du statut de criminel de guerre à celui de libérateur. Ce serait à peine croyable, mais pas impossible.
Alliance avec le diable
Les alliances contre nature ne datent pas d’hier. Churchill justifiait celle de l’Angleterre capitaliste avec l’URSS collectiviste pour combattre l’Allemagne nazie en ces termes : « Si Hitler avait envahi l’enfer, je chercherais à construire une alliance avec le diable. » Viscéralement anticommuniste, Churchill mit de côté ses convictions d’indécrottable conservateur pour marcher main dans la main avec un dictateur métamorphosé en libérateur par les Alliés. Un comble pour un despote qui avait déjà au compteur des millions de victimes dans son propre pays, mais que pourtant les soldats américains et britanniques avaient surnommé affectueusement Oncle Joe. Eux pouvaient se permettre de lui attribuer un sobriquet pareil, parce que, contrairement aux Soviétiques, ils n’avaient pas subi sa tyrannie.
Netanyahou espère peut-être bénéficier de la même bienveillance en attaquant la République islamique d’Iran, régime pestiféré, reléguant ainsi au second plan tout ce qu’on lui reproche de faire dans la bande de Gaza et en Cisjordanie. S’il réussit son coup, qui aura l’effronterie de réclamer qu’on le fasse comparaître devant un tribunal international pour ses autres décisions ? Lui qui aura réalisé l’exploit herculéen de terrasser les mollahs, comme saint Georges, le dragon, et de libérer le peuple iranien. On n’en est pas encore là. En fait, personne ne sait vraiment où on en est aujourd’hui ni où on en sera demain. Pas même Netanyahou, Trump, Poutine, Xi Jinping ou le Guide suprême iranien. C’est bien là le seul point commun qu’on peut avoir avec eux.