Que se passe-t-il à La Borde ? La célèbre clinique psychiatrique est sur la sellette. Devenue un fief de la psychothérapie institutionnelle, La Borde avait été créée en 1953 par Jean Oury, à Cour-Cheverny, dans le Loir-et-Cher. L’agence régionale de santé (ARS) vient d’annoncer le non-renouvellement de son autorisation d’activité de psychiatrie. C’est un symbole de la psychiatrie humaniste qui se retrouve ainsi directement menacé.
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Psychiatre et psychanalyste, Jean Oury avait été interne à l’hôpital de Saint-Alban, d’où il avait rapporté la méthode et l’état d’esprit de François Tosquelles – ce psychiatre catalan réfugié en France à l’issue de la guerre d’Espagne qui avait révolutionné les soins psychiatriques en changeant la relation entre le patient et le soignant. La psychothérapie institutionnelle, c’est l’idée que pour soigner un patient il faut d’abord soigner l’hôpital, prendre soin du lieu d’accueil. Les blouses blanches sont laissées au placard, et les patients participent à l’organisation de la vie de l’hôpital. « Cette pratique se fonde sur une analyse institutionnelle permanente, dans le but de repérer et de surmonter les blocages qui dans l’organisation de la structure et des soins pourraient faire obstacle à la prise en charge des pathologies psychotiques lourdes1. »
Un logiciel de gestion
Cette pratique a fait école, en France et au-delà. Mais aujourd’hui, ça n’est plus dans l’air du temps. L’ARS veut réduire la durée des hospitalisations pour faire des économies à court terme. Pourtant, on sait bien que si les patients sortent trop vite, sans avoir été vraiment accueillis, ils vont revenir plus rapidement à l’hôpital ; donc, à long terme, ça coûtera plus cher. L’argument de l’ARS est de dire que beaucoup de patients relèvent plutôt d’un accompagnement à la vie quotidienne, dans le cadre d’un suivi médico-social. C’est une vision néolibérale de la folie : l’ARS dilue la souffrance psychique dans un problème d’habilitation ; ses « experts » pensent que si l’on aide un patient à faire son CV et à trouver un travail, il n’aura plus le temps de déprimer ou de délirer. Dans la note qui annonce le retrait de l’autorisation d’activité de La Borde, l’ARS parle de transformer la clinique en une structure médico-sociale. Une transformation qui sera réalisée « avec l’appui d’un prestataire expert en santé mentale ». Ce « prestataire expert en santé mentale » est d’abord une expression de la novlangue médico-sociale. Ce prestataire, c’est un logiciel de gestion, c’est une machine qui va détricoter tout le dispositif de la psychothérapie institutionnelle, tout le tissage réalisé par plusieurs générations de soignants et de patients.

Dézinguer La Borde la même année qui a vu la santé mentale déclarée « grande cause nationale », il fallait oser.
Jean Oury disait que « soigner les malades sans soigner l’hôpital, c’est de la folie ». C’est le moment de le relire. Par exemple son livre La Psychose, l’institution, la mort (éd. Hermann), qu’il avait publié en 2008. Où il soutient que « l’abord de la psychose « passion éthique » nécessite une lutte constante, à travers les pièges du bureaucratisme (tissé de transparence et d’homogénéité), pour sauver le « singulier » et son statut aléatoire ».
La Borde risque donc d’être laminée par le dogme de l’homogénéité. Je vous tiendrai au courant de la suite dans cette colonne. En attendant, vous pouvez consulter ou compléter la carte de la résistance à la déshumanisation des soins psychiques. Il s’agit d’une cartographie élaborée à la suite des Assises citoyennes du soin psychique en 2024, à l’initiative du Printemps de la psychiatrie2.
1. cliniquedelaborde.com
2. resistancepsy.gogocarto.fr

1 week ago
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