Une envie de Gettysburg

3 weeks ago 59

On est vraiment très injuste envers Donald Trump. Il faut lui reconnaître une qualité, qui n’est plus si courante en politique : il tient ses promesses. Et ce avec une célérité remarquable. Purges géantes dans l’administration fédérale, coupes budgétaires dans la santé, l’éducation et les programmes sociaux, nationaux comme internationaux, expulsions manu militari d’immigrés basanés, hommes, femmes, enfants, sans se préoccuper qu’ils soient ou non illégaux, mise au pas, pied au cul, des universités considérées comme des repaires de wokistes, sabotage en règle de tous les contre-pouvoirs… Rien à dire, pour son retour aux affaires nationales, il n’a pas volé ses électeurs, qui reçoivent généreusement ce pour quoi ils ont voté, sans tromperie sur la marchandise.

Seule entorse à la parole donnée, l’engagement de stopper toutes les guerres. Là, de toute évidence, il atteint ses limites, pourtant élevées. Le prix Nobel de la paix dont il rêve est largement hors de sa portée. En revanche, il mériterait qu’on crée à son intention un prix Nobel du foutoir belliciste. Car après avoir excité au-delà du raisonnable la furie dévastatrice et conquérante de Poutine et de ­Netanyahou, déclaré la guerre économique à la Chine et à l’Union européenne, lancé une OPA très inamicale sur le Panama et son canal, annoncé son intention d’annexer le Canada et le Groenland, le voilà désormais qui ouvre un front intérieur en Californie, où il ordonne le déploiement de la garde nationale et envoie 700 marines mater les manifestants qui protestent contre sa politique, tout en menaçant de mettre le gouverneur de l’État en taule. Au point que certains se demandent aujourd’hui si le Golden State ne va pas finir par faire sécession…

Apathie généralisée

Nous n’en sommes pas encore là. Pour l’heure, le gouverneur Gavin Newsom, propulsé du jour au lendemain nouvel espoir démocrate pour 2028, s’est contenté de prononcer une « allocution solennelle » dans laquelle il affirme que « la Californie continuera de se battre » contre un « président qui ne veut être encadré par aucune loi ni aucune Constitution ». Il n’empêche que ce fantasme – on pourrait presque parler de désir – de guerre civile est indissociable de l’imaginaire politique américain, et pas uniquement dans le camp républicain, où la détestation de l’État fédéral fait partie des fondamentaux de nombreux élus et électeurs. D’ailleurs, que fait d’autre Trump depuis six mois, sinon le démanteler, purement et simplement ? Et ce jusque dans les institutions et agences chargées de la sécurité nationale – comme la NSA, par exemple, qui, depuis deux mois, attend toujours la nomination d’un nouveau directeur, après le limogeage inattendu du général Timothy Haugh, que personne, pas même parmi les soutiens du président, n’a été foutu d’expliquer…

Le plus frappant est que ce démantèlement se déroule avec l’assentiment du Sénat, certes à majorité républicaine, mais où l’apathie, à quelques exceptions près, des élus démocrates face à un tel sabordage de l’État et de ses structures, laisse perplexe. Preuve qu’au fond l’idée de sécession, ce n’est pas uniquement un délire libertarien ou néosudiste. Elle découle directement de l’« esprit » des pères fondateurs, qui se défiaient par principe d’un État centralisateur puissant, qu’ils voyaient davantage comme une menace contre les individus et leurs droits particuliers que comme l’incarnation d’un collectif national. Et on la retrouve aussi bien chez les républicains, qui voient d’un oeil plus que bienveillant les milices armées qui prolifèrent dans la plupart des États – et dont certaines s’amusent à prendre d’assaut le Capitole -, que chez les démocrates, avec leur obsession compulsive de diviser leur électorat en communautés diverses. Le « rêve américain », c’est aussi cette fragmentation de la société, qui semble avoir atteint aujourd’hui un point de non-retour.

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